FRÈRES ET SŒURS
Notre histoire personnelle
Nous commençons, ici, les récits de vie des frères et sœurs de la famille Fillion. Neuf membres de cette famille demeurent encore vivants. Au cours des ans, six d’entre nous ont quitté la vie terrestre.
Nous les gardons dans nos souvenirs et nous essaierons, du moins pour les derniers disparus, de les insérer dans les histoires racontées par chacun de nous, avec l’aide généreuse de leurs enfants et leurs conjointes et conjoints.

Marcel

Marcel nous a quittés au cours de l’hiver 2008. Il a participé à l’écriture de ce livre par les précieux souvenirs qu’il nous a livrés avant son départ. Il prend sa place parmi nous dans ce livre par les témoignages touchants de son épouse, Louise, ses enfants et petits-enfants.
Louise, son épouse
Je demeurais à Berthierville et un soir, Mme Bayeur, la mère de mon amie Monique, me dit qu’un nouveau pensionnaire arrive de la Côte-Nord, de Forestville, qu’il vivait une peine d’amour comme moi et qu’elle allait me le présenter le lendemain soir. Le lendemain, il arriva vers huit heures, bien chic dans son bel habit brun, lors d’une grosse tempête de neige.
Nous avons jasé et il m’apprit qu’il travaillait pour la compagnie Simard et Frères qui avait un contrat pour fabriquer des tours pour le transport de l’électricité du barrage de Bersimis à Montréal. C’était le 9 mars 1956.
Il me parlait de sa mère, veuve avec huit enfants de moins de seize ans à la maison, qu’il se préoccupait de leur confort et, en l’écoutant, je l’admirais.
Les mois passaient, je m’attachais; la tempête n’était plus de la neige, mais de l’amour. En juin, à la Saint-Jean, il voulut aller à Forestville voir sa mère et vérifier si tout allait bien. Il me proposa alors d’aller voir ce bout de pays si loin. Naturellement, j’avais pour chaperon mon frère Jacques.
J’ai trouvé ça très beau, grand, la mer, l’espace et aussi sa mère très accueillante avec ses beaux enfants. Michel devait avoir sept ans, alors.
Quelques semaines plus tard, Marcel doit retourner à Forestville. Il me propose le mariage lors de son prochain voyage en septembre. Il me dit que nous devrions nous préparer chacun de notre côté et que je devrais en parler à ma mère pour qu’elle se fasse une idée. Je ne l’ai pas fait, pour éviter deux mois de pression. À la fête du Travail, il arrive et me dit qu’il allait parler à maman. Ce fut fait et la réaction, terrible. Il discuta avec elle un certain temps et voici la suite et la réponse.
J’ai eu tout un dîner-causerie; heureusement que mon frère Jacques est intervenu. Après le dîner, elle reprit le même refrain. C’est alors que Marcel lui dit: «Louise est majeure et si je vous demande sa main c’est par politesse». À sa suggestion, nous allons voir mon frère Georges qui est prêtre à Montréal. Que voulez-vous qu’il dise? L’Église est en faveur du mariage.
Le dimanche matin, après la messe, il fut bien reçu à la maison et on s’est fiancé avec la bague achetée à Montréal. Ensuite, avec le curé, on décide que le mariage aurait lieu le 20 octobre 1956.
Le lundi matin, il retourna chez lui, maman lui souhaita bon voyage et d’être prudent. Après cet épisode, maman a toujours été accueillante envers lui à chaque séjour. À son tour, Marcel a prévenu sa famille de notre mariage. Je me suis installée dans la maison avec Mme Fillion, Marcel étant copropriétaire. Nous passions nos après-midi à coudre, tricoter, déchirer des guenilles. J’ai été très heureuse avec Mme Fillion et ses enfants. J’ai passé deux ans avec eux. Puis voilà qu’à mon grand bonheur je suis enceinte. Marcel et moi avons pris l’avion fin février pour l’accouchement. Une semaine plus tard, comme bébé n’arrivait pas nous sommes retournés sur la Côte-Nord. Et Marcel m’annonça que Jeanine avait accouché avant moi d’un beau garçon. Marcel, choqué, est allé voir le docteur pour lui dire que chez nous les femmes n’attendent pas comme ça. Le docteur, insulté, m’envoya à l’hôpital pour provoquer l’accouchement, à onze heures de l’avant-midi. À midi trente, Isabelle arrivait, c’était le 15 mars 1958. Huit livres et dix onces et vingt et un pouces de bonheur. Six mois plus tard, nous avons déménagé à Forestville tous les trois dans une petite maison que nous avons agrandie par la suite. Après notre mariage, Marcel a quitté la compagnie Simard et Frères qui voyageait d’un endroit à un autre selon les contrats et s’est engagé à la Canadian Pulp à Forestville. Il travaillait généralement dans le bois, mais souvent, il était à l’atelier mécanique. Il revenait à la maison tous les soirs ou presque.
Le 27 juin 1964, André est né à l’hôpital des Escoumins à 9 h 30, un samedi soir; dix livres et trois onces, vingt-deux pouces, un bébé facile.
Marcel abandonna alors le bois pour la ville; il travailla comme représentant pour la compagnie Petro Canada; livreur de carburant et pièces d’automobiles sur le territoire de La Malbaie à Baie Comeau. Plus tard, il a gardé le commerce des pièces et a ouvert un magasin pour les vendre. Je m’occupais de la comptabilité et du magasin quand il était sur la route ou à la chasse.
En 1972, c’est la naissance de Caroline. Grossesse et accouchement difficiles, belle fille de huit livres, vingt-deux pouces, mais fragile. Un an plus tard, le médecin confirme qu’elle est trisomique. Une peine terrible s’abattit sur nous: j’avais vu pleurer Marcel au décès de son père, mais cette fois c’était pour notre fille bien vivante. Que faire? J’étais hospitalisée souvent et il trouvait une gardienne à chaque fois, aussi, il avait l’aide d’Isabelle, 14 ans et André à la maison. Caroline est devenue une P.M.E., petite et moyenne entreprise.
Marcel a pris sa retraite à cinquante-sept ans. Il avait des projets: il s’est inscrit à l’Université du Québec à Montréal pour suivre un cours d’agent immobilier. Tous les trois, nous sommes partis en pension.
Dans sa jeunesse, il avait étudié l’anglais par correspondance sauf que les Américains lui parlaient en espagnol. Donc, il avait toujours un crayon et papier avec lui.
Nous avons fait des voyages avec l’Âge d’Or: Toronto, Ottawa. Nous sommes allés en Angleterre, où André travaillait. Celui-ci avait une invitation pour un garden-party dans les jardins de Buckingham Palace. Il avait droit à deux invités et nous avions même nos billets. Très beau… la Reine est venue saluer les militaires près de moi. On a visité des châteaux, des églises, etc. Nous sommes allés en Floride 13 saisons avec Caroline. Marcel aimait beaucoup la pétanque, les marchés aux puces, les livres anglais de trois pouces d’épaisseur. Il a connu beaucoup d’amis que je visite encore et qui sont venus au salon funéraire lors de son décès. Au centre d’achats, ses amis me disent encore combien il leur manque. Il visitait ses amis malades, il était très fier de ses enfants et petits-enfants: Charles-André et Vincent Tremblay, fils d’Isabelle. Aston, Adam, Éric, fils d’André et Cherily Warme d’Ottawa. Caroline n’a pas eu d’enfants, elle est mariée à Maurice Gagné.
Marcel, à quatre-vingts ans, profitait du bonheur que nous avions eu, et avant de s’endormir, il me rappelait qu’on était bien et, prenant ma main, il disait être heureux… et bonne nuit.
Puis son état s’aggrava, il était inquiet pour moi et il avait encore des projets pour moi et Caroline. Il a eu la visite de ses frères et sœurs; ça jasait, les bons et mauvais coups des uns et des autres étaient remémorés et les rires éclataient dans la chambre. J’ai pensé qu’il était guéri après leur départ. J’étais tellement heureuse moi aussi. Merci à vous tous
Le mal reprit. Marcel, c’était un homme fort, un fils dévoué, un frère, un ami, un papa, un mari extraordinaire. Un grand cœur, ambitieux, exigeant et honnête.
J’ai vécu cinquante-deux ans avec Marcel et j’ai été heureuse. On avait des petits conflits comme tout le monde; je gardais le silence, il parlait seul et s’arrêtait. Je lui disais je t’aime et je ne veux pas qu’on se dise des choses blessantes à tort ou à raison. À l’occasion, c’était mon tour de parler seule… Il avait raison.
Malgré sa force, il était très sensible. Il a commencé, à onze ans, à gagner sa vie avec des hommes murs; c’est pourquoi il était exigeant. C’était la survie dans ce temps-là. Il est un modèle pour ses enfants: si papa l’a fait, je suis capable. Dieu est venu le chercher. Il me l’a prêté cinquante-deux ans. Merci, prenez-en bien soin.
Au revoir.
Louise
Isabelle, fille ainée de Marcel
La confiance
Mon père avait en lui cette confiance en ses moyens, non pas pour l’orgueil, mais pour bâtir, œuvrer à l’élaboration d’un monde meilleur. Il possédait cette confiance en la vie, en la force de la nature, en ses enfants.
Le travail
Mon père avait cette passion des grands projets, cette passion du savoir et de l’apprentissage dans la concrétisation de ses idées. Toutes les situations de la vie l’amenaient vers un cheminement, une philosophie, un problème à solutionner.
La peur
Mon père avait peur lui aussi, mais il en faisait un moteur pour aller plus loin. Dans son agonie, il vécut la peur ultime de sa vie.
La vie
Mon père a fait fructifier les dons que Dieu lui avait donnés. Encore plus, il en a fait bénéficier plusieurs personnes; il s’est accompli dans toute sa plénitude.
Dieu
Mon père croyait en Dieu et en sa création terrestre et cosmique. Il avait un regard critique sur les institutions humaines et un amour sans borne pour la perfection de la création. Quand on a reçu beaucoup, il faut donner beaucoup, disait-il.
Regrets
Mon père n’avait aucun regret. Seulement, aux derniers jours de sa vie il a exprimé qu’il aurait aimé avoir une meilleure relation avec ses frères et sœurs.
Isabelle
André, fils de Marcel
Hommage à notre père Marcel
Tous ceux qui l’ont connu ont vu quelque chose de spécial en notre père. Que ce soit les docteurs, à l’hôpital, ce dernier mois, la gang de messieurs au centre d’achats, nos amis, les gens de la Floride, nos belles familles, il trouvait toujours le moyen d’établir des liens facilement, des liens forts et des liens durables avec n’importe qui. Pour certains, c’était son sens de l’humour, d’autres, son amour de la pêche, de la chasse et de la nature ou, encore, sa passion pour faire pousser des tomates.
Mais peu ont pu vraiment apprécier toutes les facettes intéressantes et les forces que notre père possédait. Caroline et moi avons pu l’apprécier à sa juste valeur; il était un homme vraiment remarquable.
Mon père était un homme fort. On connaît tous le cliché montrant des jeunes dans la cour de l’école qui argumentent que leur père est le plus fort. Honnêtement, Caroline, Isabelle et moi n’avons jamais eu à en être témoins; mais quand l’un de nous disait que notre père était le plus fort, tous étaient d’accord. Être bûcheron aux sciottes à l’âge de onze ans, ça aide certainement. Mais il y avait plus que ça, il était d’une endurance physique incroyable. Je me rappellerai toujours, j’avais vingt-huit ans, une période où je jouais au hockey six fois par semaine, en «top shape» comme on dit; il en avait soixante-cinq, et était corpulent. On s’en allait à la pêche avec des amis de Forestville. Nous avions à faire un portage dans la vase et les branches, deux canots, de la mouche noire et la chaleur… Il était parti le premier avec un canot sur le dos et moi, le deuxième, avec le mien. J’ai réussi à le suivre, mais il faut dire que ça m’a tout pris ce que j’avais de force et de détermination pour le faire. Ça a été un des exploits auxquels je pense encore souvent et qui démontre sa juste valeur, sa force et son endurance physique exceptionnelles, même à l’âge de la retraite.
Mais sur cette charpente forte, peu auraient pu croire qu’on avait affaire à un intellectuel doué qui n’a jamais arrêté de se perfectionner. Avoir quitté l’école à onze ans a sans doute été un des moments les plus difficiles de sa vie. Mais ça ne l’a pas empêché de continuer à étudier jusqu’à la toute fin. Jeune, il a appris l’anglais, par lui-même, afin de pouvoir lire plus de livres. Il n’a jamais arrêté de lire… en anglais, en français, des romans, des livres de philosophie, des magazines d’actualité, le journal à tous les jours, et ce, jusqu’à ses derniers moments. Toute sa vie, il a traîné partout avec lui un vieux dictionnaire, une demi-douzaine de paires de lunettes, sachant qu’il en perdrait quelques-unes, et ses livres.
D’être retourné à l’école après avoir pris sa retraite, à l’âge de cinquante-sept ans, pour aller obtenir son diplôme d’études secondaires, est un exploit, qui à notre avis, a démontré sa détermination et son engagement dans le monde du savoir. Il était un intellectuel dans tous les sens du mot. Ajoutez à ça un homme le fun. Tout le monde ici a été témoin de ses blagues continues. Pas drôles toutes les fois, je dois l’admettre, mais l’une après l’autre. Pas un instant ennuyant avec Marcel…
Isabelle poursuit
Mon père, un homme avec un très grand sens du devoir. Nous l’avons vu aider et accompagner ses amis dans la maladie à plusieurs reprises. Des moments difficiles et émouvants pour lui, mais pour chaque cri à l’aide, il y avait une solution qui, souvent, venait avec de grands sacrifices de sa part. Cela lui était naturel.
Mon père avait un sens des affaires très aiguisé. Quand, en 1985, il a dit: «Je prends ma retraite», il en a pris plusieurs par surprise… incluant ses enfants. Des revenus modestes, des décisions nombreuses. Il a choisi d’avoir des revenus moindres pour être près de sa famille, et aucune opportunité de bénéficier à un fond de pension. Aujourd’hui, vingt-trois ans plus tard, treize voyages de cinq mois en Floride, une belle vie de retraité et une situation financière enviable pour maman. C’est un exploit.
Mon père, un homme qui arrangeait son horaire d’activités pour être capable d’écouter toutes les sessions parlementaires de l’Assemblée Nationale du Québec à la télévision. Avec des milliers de textes écrits dans les forums politiques du Québec, chacun aussi touchant que les autres, il était une bête politique qui comprenait mieux qu’il le laissait croire les institutions qui nous entourent. Enrobés d’humour, ses commentaires politiques étaient fondés sur une étude approfondie. Sauf quand il parlait de Mme Marois!
Mon père, un homme brave. Il n’y avait absolument rien qui lui faisait peur. Nous l’avons vu dans des situations où sa sécurité physique était en danger à plusieurs reprises et jamais il n’a même pensé reculer. Il fonçait. Avec lui, nous étions en sécurité.
Mon père avait aussi ses faiblesses. Pas le meilleur quand c’était le temps de montrer de la tendresse. Sauf vers la fin, heureusement. Pas le meilleur dans la cuisine, même vers la fin. Dieu merci, maman était là.
Pas organisé… vraiment pas. Quand il disait «va chercher une paire de pinces», la dernière place où chercher était dans son coffre d’outils. Heureusement c’est une des grandes forces de maman.
Pas fancy du tout. La bedaine à l’air, la plupart du temps, même si maman lui cousait les derniers boutons de ses chemises. Heureusement, maman y veillait.
Tout ça pour dire qu’il était un être comme on en voit peu dans la vie. Des forces et des exploits incroyables, mais aussi des faiblesses qui le rendaient humain et ont fait de maman une partenaire parfaite, menant à cinquante deux années de bonheur. À une époque où nous sommes bombardés à tous les jours à la télévision et un peu partout de héros de toutes sortes, de super héros, de super étoiles de sport ou du monde artistique, de leaders du monde, nous trouvons remarquable que ses cinq petits-fils l’aient toujours choisi comme leur héros. Un héros sans diplôme, sans l’allure d’une étoile de sport, sans titre dans la société, mais un homme avec des forces qu’il a su exploiter dans un contexte difficile. Ce sont ces qualités humaines, telle sa détermination, son sens du devoir et sa bravoure qui en ont fait un héros pour nous et nos enfants.
Il nous laisse forts, en sécurité, éduqués, et ce, dans tous les sens du mot, et bien entourés.
Il nous manquera beaucoup, mais heureusement, ce qu’il nous a laissé sera toujours là et fera partie de nous.
André
Caroline, fille de Marcel
Lorsque nous sommes venus au monde, mon père a dû apprendre à être différent.
Comme tout ce qu’il entreprenait, notre relation fut un succès.
Il m’a amenée partout en voyage, à la pêche. Il m’a permis d’avoir une enfance heureuse remplie de rires et de joie.
Malgré ma différence, il avait confiance en moi. Il voulait que je sois aussi forte que mon frère et ma sœur. Je suis allée en Floride, à Toronto, dans l’ouest du Canada et j’en passe. Tout ça grâce à lui.
Même si cela a été difficile pour lui, il a accepté mon mariage avec Maurice. Comme un bon père, il a payé les noces de sa fille. Pour moi, ce fut un moment de rêve. Ma famille est remplie d’amour et de respect. Je suis une fille, une sœur, une tante, une belle-sœur, une épouse et une femme.
Aujourd’hui, je prie mon père chaque jour. Je sais qu’il m’écoute et qu’il me protège encore et encore, comme il l’a toujours fait.
Papa chéri!
Caro
Charles-André Tremblay, petit fils de Marcel
Je me nomme Charles-André Tremblay et Marcel Fillion était mon grand-père. Je suis l’aîné de ses petits-fils et je me considère privilégié de pouvoir vous adresser ce témoignage.
Le plus vieux souvenir que j’aie de lui est celui d’un homme qui me paraissait autoritaire et froid. Aujourd’hui, je comprends que l’imagination pétillante de l’enfant turbulent que j’étais n’a pas dû lui plaire. Un épisode qui échappe à ma mémoire, mais qui fait toujours sourire ma grand-mère le révèle bien. Un jour d’été, près de la serre, je m’amusais avec un bâton, frappant ici un dragon ou là un pirate imaginaire. Marcel, s’approchant de moi, me dit: «Frappe-moi donc avec ton bâton pour voir.» Aussitôt dit, aussitôt fait; le coup se fit sentir. Fâché, il se tourna vers Louise qui lui dit en riant: «Tu lui as demandé, il te l’a donné.» C’est pourquoi il se plaisait davantage avec mon frère qui s’est toujours montré plus calme et moins fantasque que je l’ai été.
Jeune, je le voyais souvent l’été. Très vite, j’ai compris qu’il aimait la nature. Il s’aventurait souvent dans la forêt de la ZEC et il semblait y connaître tous les sentiers et chemins. Au Cap Colombier, il se détendait près du fleuve. Une image qui reste très présente chez moi, c’est de le voir partir avec ses bottes, sa pelle et ses seaux, sur son trois roues pour ramasser des clams. Il en ramenait parfois des chaudières pleines pour ensuite les vendre à un marchand local. À quelques occasions, il en gardait pour que grand-mère en cuisine pour le souper. Je me rappelle que je détestais le goût de ces clams sorties tout droit de la vase. Puisque les anniversaires de Marcel, Vincent, Ashton et le mien étaient tous dans la première moitié du mois d’août, nous fêtions la fête des Lions. Nous avions beaucoup de plaisir à manger du gâteau et recevoir des cadeaux. Ces étés au Cap Colombier sont, pour moi, des souvenirs de joie. Un grand ami de mon grand-père fut mon père. Ensemble, ils ont chassé tous les automnes et ont construit des cabanes de chasse, un grand escalier pour accéder plus facilement au chalet, une serre et j’en oublie… Ma mère disait qu’ils se complétaient bien l’un et l’autre.
Pendant un peu plus d’une dizaine d’années, Marcel partait avec les Snowbirds pour la Floride. Lorsque j’avais onze ans, ma famille et moi avons eu la chance d’aller les rejoindre pendant deux semaines. Ce fut très apprécié.
J’avais dix ans quand il entreprit un grand changement dans sa vie. Il quittait sa maison de Forestville pour venir s’établir tout près de chez moi, à Baie-Saint-Paul. Je crois que ce déménagement fut une décision difficile à prendre pour lui. Il quittait la ville où il avait travaillé de nombreuses années, où il s’impliquait et où il avait des amis. Cependant, il ne s’est pas attristé de cela et se fit rapidement de nouveaux amis dans le voisinage de sa nouvelle demeure. Il louait un appartement dans la maison bleue, le bloc à logements appartenant à mon oncle Conrad et mes parents. Ainsi, nous pouvions le voir et au fil du temps, je grandissais et lui vieillissait.
À mon adolescence, j’ai découvert que lui et moi partagions certains passe-temps. Il écrivait des lettres sur des forums politiques et me les faisait lire avec fierté. Aussi, lui et moi aimions regarder le hockey et le football à la télévision. Mais la pêche fut l’activité que j’ai le plus appréciée en sa compagnie. C’était inattendu de ma part que lui et moi puissions un jour partager ces intérêts.
Et inévitablement, je devins un homme et lui un vieillard. La triste fin de cette histoire débute lorsque Marcel dut s’asseoir dans un fauteuil roulant. Le cancer s’en prenait à ses poumons et ses vertèbres, ce qui causait une paralysie de ses jambes et de fortes douleurs. Une fois hospitalisé, je l’ai vu nous quitter peu à peu chaque jour. C’est ainsi qu’il est parti le 15 février 2008. L’héritage qu’il me laisse c’est l’importance de la famille et la volonté de persévérer dans mes entreprises.
Charles-André
Bertrand

Aujourd’hui, il me faut un énorme courage pour entreprendre de faire le résumé de la vie de Bertrand, disparu depuis trois ans.
Celui-ci a encore une place privilégiée parmi ses frères et sœurs, dont le souvenir reste vivant, encore et encore.
Avec sa permission, je me substitue donc à lui pour une histoire unique.
Bertrand est né à St-Félicien le 26 décembre 1931. Le quatrième de la famille Fillion.
C’était la période noire des événements économiques qui ont bouleversé le monde au cours des années 1930.
Dès son plus jeune âge, il fut témoin de l’évolution de notre famille; il prit part active aux bonheurs, aux peines, aux malheurs et aux luttes quotidiennes du temps. C’est là, je crois que s’est développée sa grande sensibilité qui s’est transformée, avec le temps en une sagesse reconnue par chacun de nous.
Dès son arrivée à Sainte-Thérèse de Colombier, il fut vite mis à contribution dans les tâches relatives à la bonne marche de la ferme. Je suis convaincu, le connaissant, qu’il prit plaisir à se rendre utile. Je ne sais pas s’il consentirait à ce que je révèle la suite de sa vie à Ste-Thérèse, mais je crois que nous devons lever ce petit voile qui nous cache une partie de notre histoire pleine de messages. L’on sait à quel point la vie était dure et remplie de stress pour ces jeunes colonisateurs. Les enfants, disait-on, étaient une bénédiction de Dieu qui venait apporter l’aide nécessaire à la réalisation de projets parfois excessivement onéreux pour ceux qui avaient à les réaliser. Ce fut le cas, pour beaucoup d’enfants qui furent poussés à leurs limites physiques et psychologiques. Bertrand fut sans doute l’un de ceux-là.
Papa ne connaissant pas les limites physiques et psychologiques de son fils le poussa au bout de ses limites. Bertrand, qui avait alors quatorze ou quinze ans, décida de quitter la maison paternelle. Seule maman était au courant de son projet et ne s’y opposa pas. Donc, il partit avec son paqueton, sans le sou, trouver fortune ailleurs. Il dut surmonter beaucoup d’épreuves avant de s’épanouir et devenir l’homme équilibré et attachant que nous avons tous connu. Son retour à la maison, plusieurs années plus tard, fut célébré avec joie par toute la maisonnée. Papa était heureux de revoir son fils, conscient des erreurs qu’il avait commises envers lui. Ils devinrent très proches l’un de l’autre. Jusqu’à ses derniers jours, papa put compter sur l’aide et le respect de son fils Bertrand.
Quant au travail, Bertrand sut gagner sa place et devint un élément apprécié et respecté des milieux où il eut à s’exécuter. À plusieurs reprises, on lui offrit des postes de responsabilité qu’il mena à terme avec grand succès. Il avait un leadership indéniable qui générait le respect et la confiance.
Doté d’un sens de l’humour très spécial, pince-sans-rire, je le revois encore pincer le bec et tirer la joue pour signifier qu’il était content et heureux. On peut dire que Bertrand n’était pas de ceux qui parlaient le plus, mais en sa présence, on se sentait bien dans la chaleur qu’il dégageait.
On peut dire qu’il fut le grand frère idéal pour nous qui cherchions une épaule, un cœur qui nous accepterait tel que nous sommes et il réussit à combler nos attentes.
Il tomba en amour et maria Irma Jauvin et fut l’heureux papa de six beaux et talentueux enfants qui continuent le chemin tracé par leur père: Serge, Nicole, Carole, Sylvain, Roger et Nathalie.
Au cours de toutes ces années, Bertrand resta proche de notre famille. Chacun de nous eut une relation privilégiée avec lui et il resta proche de maman après le départ de papa. Généreux et sensible aux autres, il était toujours prêt à rendre service à quiconque avait besoin de lui. Un jour, sans crier gare, l’âge s’accumula sur ses épaules, son corps si vigoureux se voûta de plus en plus et il se retrouva à Clermont, dans une maison pour personnes ayant besoin d’aide physique et psychologique, un C.H.S.L.D. Heureusement il était à proximité de Michel et Colette qui lui apportaient sans compter leur généreuse assistance.
C’est là qu’il s’éteint à l’âge de 76 ans, le 3 juillet, dans le silence. Son doux souvenir nous accompagne encore.
ADIEU CHAMPION!
Jean-Guy

Jeanine

Je suis Jeanine, née le 7 du mois d’août 1934. Je suis la cinquième d’une lignée de quinze enfants. Ma petite enfance s’est déroulée à Dolbeau, Lac Saint-Jean. Mon souvenir le plus lointain s’est passé alors que j’avais quatre ans; la vie était belle, j’étais heureuse, maman constamment près de nous cinq, Marcel, Bertrand, Irène, Huguette, Osias-Jean-Marie et moi. Nous étions toujours ensemble, on jouait, riait et sautait. À ce moment-là, c’était comme si j’avais des ailes et que le ciel était toujours bleu. Je ne doutais pas que ce ciel allait s’assombrir et que je deviendrais, malgré moi, une guerrière.
Cette transformation s’est faite dès mon enfance, au décès de ma sœur Irène qui avait alors treize ans et moi, neuf. Je devenais, par conséquent, la plus vieille des filles. Nous demeurions alors à Sainte-Thérèse et mon père me signifia: «C’est maintenant toi l’aînée de la famille, tu vas aider ta mère à la maison.» Maman a commencé à avoir un enfant par année. En plus d’aller à l’école, j’aidais maman aux tâches de la maison jusqu’au coucher des enfants, vers huit heures. Le matin, c’était le déjeuner de tous et c’était ainsi tous les jours. Le soir, fatiguée, je m’endormais la tête dans mes livres. À l’âge de dix ans, le jour de ma fête, j’eus la surprise de ma vie: j’eus mes premières règles. J’étais paniquée, ne sachant ce qui se passait. J’ai même imaginé que j’allais mourir. Aussi, j’étais trop gênée pour en parler à maman. Environ six mois plus tard, maman s’en est rendu compte et m’a dit que j’étais devenue une femme, après toute la frayeur que j’avais eue!
Papa était souvent parti travailler, tandis que moi, toujours, j’aidais maman. Bertrand et Huguette, pendant ce temps, étaient soit au bois de chauffage, soit à l’étable. Leur tâche consistait aussi à aller recueillir l’eau dans le ruisseau voisin pour les besoins domestiques et abreuver les animaux. Tous faisaient de leur mieux pour que papa soit content. Contrairement à nos attentes, à son retour, souvent, il nous faisait des reproches; il n’était pas souvent de bonne humeur. Nous devenions distants avec lui. Il ne voulait pas de bruit dans la maison; avec toute cette marmaille c’était difficile. C’est pourquoi, j’amenais les plus jeunes au deuxième étage avec moi pour ne pas déranger. Je les aimais tellement qu’ils étaient comme mes enfants. Maman avait trop à faire et était toujours enceinte. Elle n’était pas toujours en forme pour donner de son temps. Mais je me rappelle qu’elle nous faisait bien rire et c’était tellement bon.
J’avais treize ans, maman attendait encore un bébé, alors j’ai dû quitter l’école définitivement pour aider à la maison. C’était au mois de janvier et il faisait très froid. Papa, qui était à la maison, m’a demandé d’habiller les enfants pour les amener chez Mme Charron la voisine. Pendant ce temps, il partit chercher la garde malade au village. Le tout s’était déroulé au cours de l’avant-midi. Vers cinq heures, à notre retour à la maison, une surprise de taille nous attendait: deux beaux bébés, deux jumelles! C’est là que maman m’a dit: «prends-en une et garde-là.» J’ai pris Lise la petite blonde et Huguette manifesta le désir de prendre Denise, la petite brune. Comme Huguette était toujours occupée hors de la maison, c’est moi qui me suis occupé des deux petits bouts de chou. Je les ai tellement aimées! Un an plus tard apparut un autre bébé, Michel. Un bébé magnifique.
J’avais seize ans et je dis à maman que je voulais aller travailler à l’extérieur. Je voulais, pour ainsi dire, aller voir plus loin. C’est alors que je partis pour l’hôpital de Hauterive où j’ai poursuivi mes études et commencé mes cours d’infirmière en pédiatrie. C’était beaucoup de travail, mais tous les employés m’encourageaient et étaient gentils avec moi. J’étais heureuse.
Un an et demi après le début de mon cours d’infirmière, papa est tombé malade; il avait le cancer des poumons, il faisait pitié. Maman était seule à la maison avec mon père et les enfants. Papa fut transféré de l’hôpital de Québec et à celui de Hauterive. J’étais là pour en avoir soin. Après quelques mois, il est retourné à la maison. Maman était très fatiguée, papa avait besoin de soins qu’elle n’arrivait pas à lui donner. Alors j’ai pris la décision de retourner auprès de maman pour l’aider. Elle était très heureuse de me voir revenir à la maison. Après la mort de notre père, je croyais être capable de retourner continuer mes cours, mais maman était épuisée et malade. Elle n’avait pas d’argent et c’était dur pour elle. Je lui ai alors proposé de rester avec elle. J’ai trouvé un emploi à l’Auberge des Quatre Chemins de Forestville. Je gagnais un salaire qui me permettait de l’aider à passer à travers ses urgents besoins.
Un jour, j’ai fait la rencontre d’un beau policier appelé René. Belle apparence, très gentil et avec beaucoup de belles qualités. Je l’ai présenté à maman et ce fut le coup de foudre avec elle et mes frères et sœurs. Tout le monde était très heureux, car il s’amusait beaucoup avec eux et les gâtait à souhait. C’était merveilleux d’avoir quelqu’un avec qui partager ces moments en famille.
Un an plus tard, il m’a demandé en mariage; c’était pour moi une grande décision; ma carrière ou le mariage? Vous savez tous que l’amour est plus fort que la police. Alors, j’ai accepté. Nous avons eu huit beaux enfants: quatre garçons et quatre filles. Le Bon Dieu a rappelé trois de mes garçons. Aujourd’hui, il me reste donc un garçon et quatre filles: Raynald, Danielle, Nancy, France et Mona. Ce sont des enfants merveilleux que j’adore. De mes cinq enfants, j’ai sept beaux petits-enfants, trois filles et quatre garçons et mes deux arrière-petits-enfants chéris, Raphaël et Maïna, qui font ma fierté. Nous sommes très unis et très heureux. C’est le bonheur parfait. Merci mon Dieu!
Je veux avant de finir, remercier mes frères et sœurs pour tout l’amour qu’ils m’ont apporté. Sans eux, je ne sais où je serais aujourd’hui.
Quand je revois ma vie passée, je ne regrette rien.
Quelques notes biographiques de Jeanine
Lieu de naissance:
Mistassini
Jeunesse:
J’ai aimé ma jeunesse
Études:
Université de Sainte-Thérèse.
Moment marquant de vie:
Perdre mon fils de 17 ans (Marco)
Gens importants:
Frères et sœurs, papa, maman.
Ma plus grande réussite:
Mes enfants.
Mon plus grand désir:
Rester en santé et heureuse.
Message à tous:
Souhait de santé, d’amour, de joie et d’argent.
Jeanine

Huguette

Pour une autre fois, je viens tenter, avec beaucoup d’affection et de tendresse, de brosser quelques tableaux de la vie de notre sœur Huguette qui nous a quittés il y a bien longtemps.
Du plus loin que je me souvienne, Huguette fut, sans que nous nous en rendions compte, un pilier indispensable à la poursuite de notre évolution familiale et ce, quelques années avant et après la mort de papa.
Naturellement, elle s’est impliquée dans toutes les tâches indispensables à la bonne marche de notre petit royaume dépourvu de roi.
L’école, le bois de chauffage, le train à l’étable, le poulailler, elle répondait à tous les impératifs de la situation avec un courage et une responsabilité à nulle autre pareille. Elle veillait à la survie de tous. Personne ne lui avait demandé, elle savait ce qui était essentiel.
Jamais une plainte, jamais un reproche; c’était le don de soi perpétuel.
Son sourire parlait pour elle.
Elle fut de toutes les corvées: bleuets, jardin, patates et toutes les tâches domestiques.
Si j’avais à la comparer à quelqu’un, ce serait à cette bonne religieuse qui, dans le silence par ses actes invisibles et humbles, soutient l’ensemble de ses compagnes occupées à des activités plus intellectuelles si l’on peut dire.
Je crois qu’Huguette, par sa simplicité, son don de soi, fût pour nous un exemple que nous n’avons pas toujours suivi, mais qui a marqué bon nombre d’entre nous qui avons épousé ses belles qualités. Plusieurs iront jusqu’à dire que je suis en train d’en faire une sainte. Nullement, je fus témoin de la vie exemplaire, dépourvue d’égoïsme et de mesquinerie de notre sœur et je suis heureux de le relater.
Ayant été son bras droit dans beaucoup de ses occupations, je puis révéler avec le plus grand respect à quel point Huguette vivait presqu’exclusivement pour les autres sans demander en retour.
Dotée d’une sensibilité hors du commun, un rien la faisait rire ou pleurer. Cette sensibilité lui faisait deviner facilement les besoins d’attention de son entourage et soutenir ceux qui en avaient besoin.
Qui nous a procuré nos premiers skis à Sainte-Thérèse? Huguette.
Qui nous a apporté notre premier Tintin (Tintin en Amérique)? Huguette.
Qui, à plusieurs reprises nous est arrivée avec un vêtement neuf sans que nous lui ayons demandé? Huguette.
Qui était si proche de maman et de nous? Huguette.
Tu dois rougir au paradis, ma grande sœur! Nous sommes tous fiers de toi!
Elle s’est unie à Gonzague Canuel et je crois que cette union fût des plus heureuses. Quatre enfants naquirent de cette union: Sylvie, Gilles, Denis et Alain. Tous de beaux enfants débrouillards et pleins de vie, de quoi être fiers!
Son grand bonheur était de recevoir toute notre famille dans sa maison au Jour de l’An. Son sourire révélait, alors, la joie qu’elle éprouvait.
Sa vie fut si intense qu’elle se termina très tôt; encore jeune elle fut accablée d’une maladie incurable qu’elle ne put surmonter. Elle prit le transport pour l’au-delà au cours de l’année 1973 où elle fut reçue en grandes pompes, j’en suis convaincu.
Quels beaux souvenirs tu nous laisses, chère sœur!
Jean-Guy

Lucette

Il me fait un immense plaisir de créer un espace dans le livre familial à une sœur pour laquelle j’ai toujours eu une immense admiration et un grand respect.
Lucette est née à Sainte-Thérèse le 22 août 1939. C’est dans la maison familiale qu’elle fit ses premiers pas. Du plus loin que je me souvienne, Lucette a été une sœur adorable, sensible et pleine de mystères. Silencieuse, à l’écoute, réservée, elle avait une personnalité bien à elle en plus de posséder un caractère capable de passer à travers les plus grandes tempêtes.
Elle fit partie de toutes les activités familiales: entretien du jardin, cueillette des bleuets, ramassage des patates et j’en passe. Je m’aperçois, aujourd’hui, qu’au cours de toutes ces activités, Lucette était toujours là, silencieuse, effacée et pourtant si pleine de chaleur et d’écoute.
Elle fut de celles qui, par leur générosité, ont permis à maman de réussir à rendre sa petite marmaille à maturité. Nous devons reconnaître qu’elle, aussi, fût d’une aide précieuse à la poursuite de la croissance de notre famille sur tous les plans.
L’amour l’a rejointe en la personne d’Yves Dumais. Son mariage eut lieu le 12 août 1961. Comme toutes les jeunes filles du temps, elle était fière de présenter son amoureux à sa famille. De cette union naquirent deux beaux enfants, Denis et Johanne.
Je me rends compte aujourd’hui en écrivant les souvenirs que j’ai de notre sœur, à quel point elle eut une vie remplie d’expériences bouleversantes qui auraient dérouté la majorité des êtres humains: l’accident survenu à son mari, en pleine force de l’âge qui transforma à jamais la vie de sa petite famille, la précarité de sa vie financière, les responsabilités plus grandes les unes que les autres ont fait d’elle la championne de la ténacité et du courage. Tout cela dans une sérénité et un silence à couper le souffle de ceux qui se plaignent pour des riens.
Je me rappelle son sourire plein d’amour et de chaleur, ses yeux verts regardant presque à travers les gens, le temps et l’espace. D’où était-elle sortie pour posséder toutes ces ressources, ces pouvoirs?
Souvenons-nous cette attitude physique qui la caractérisait: quand elle voulait relaxer, elle croisait les jambes, y déposait un coude, et appuyait sa tête dans la paume de sa main, ensuite elle allumait lentement une cigarette qu’elle savourait religieusement. Elle était avec nous et semblait toucher un bonheur qui n’appartient qu’au moment présent.
Souvenons-nous de sa belle complicité avec Colette. Inséparables, elles ont été des compagnes de rêves, de leur jeunesse paisible à Forestville, de leurs rêves, de leurs amours…
On pourrait croire que nos deux sœurs avaient le même tempérament; pourtant non; autant l’une était pleine de feu, je vous laisse le loisir de deviner qui, autant l’autre était remplie de rêves et de silences.
Lucette apprit, jeune encore, qu’elle était atteinte d’un cancer incurable. Combien d’entre nous se seraient révoltés! Elle tourna les yeux encore une fois vers l’avenir et passa avec un immense succès la dernière épreuve que lui réservait la vie. Certains luttent jusqu’à la toute fin contre la mort, Lucette alla à sa rencontre sans peur et sut peut-être, s’en faire une amie. Elle nous quitta le 22 mars 1989.
Je me rends compte, aujourd’hui que nous avons eu la chance d’être entourés d’êtres d’exception; peut-être sommes-nous du nombre.
Au revoir grande sœur!
Jean-Guy

Colette

Je me nomme Colette, huitième enfant d’Eugène Fillion et d’Antoinette Langlois.
J’ai été conçue par habitude: mes parents avaient comme objectif d’avoir un enfant ou deux par année et me voilà. Si ce n’avait pas été moi, ça aurait été un autre.
Mon arrivée dans la famille fut le 2 octobre 1940. C’était en automne, à la joie de tous, car j’étais un bijou de bébé! Ma petite enfance de zéro à trois ans fut très bien puisque je ne me rappelle de rien.
Les années suivantes furent aussi très bien, car tous les autres avant moi avaient fait le travail. Alors, je me suis amusée et j’ai rêvé sur notre petite terre que je trouvais très grande et confortable.
Vinrent ensuite les études. J’ai fait de petites études, car je trouvais la vie trop intéressante en dehors de l’école. J’ai commencé à travailler à l’âge de treize ans et j’ai terminé à soixante ans. Bonne moyenne, je trouve.
À dix-neuf ans, j’ai rencontré mon âme sœur en Réjean Pelletier, un très beau mec. Nous nous sommes aimés, fait de gros câlins et nous nous sommes mariés, en l’église de Forestville, le 21 juillet 1962, accompagnés de parents et amis. De cette union sont nés deux gentils enfants: Pierre, en 1963 et Danielle en 1965. Même, dans mes rêves les plus fous, je n’avais été plus heureuse.
Par la suite, ce fut la valse des sous; il fallait bien penser à notre avenir et nos vieux jours. Travailler, travailler, amasser, encore amasser sans penser à autre chose, car après toute la tâche, on était trop fatigués… Nous avons passé par la restauration, car le père de Réjean était propriétaire du Restaurant Chez Pierre. Ensuite, nous sommes devenus commerçants à notre tour et nous avons possédé plusieurs commerces: Boutique de sports • Garage Clermont • Boutique de vêtements Elle et lui.
J’ai assumé la direction de la boutique de vêtements pendant 25 années. C’est là que j’ai acquis un si beau caractère, docile, doux, gentil…
Et la retraite, il ne faut pas s’en faire avec ça. C’est comme l’arrêt de menstruations; tu te demandes quelles chaleurs il reste à avoir. Il ne faut pas s’en faire, des surprises de toutes sortes, ça pleut!
Mais il paraît que le meilleur reste à venir… JE VOUS AIME TOUS
P.S. Excusez-moi, je suis incapable d’exprimer mes sentiments.
Colette

Jean-Guy

Une vie parmi quinze autres, la mienne:
Je me nomme Jean-Guy, fils d’Antoinette et Eugène. Je suis né le 17 juin 1942, au début de l’été. Mes parrain et marraine furent Irène et Marcel, les deux aînés de la famille. J’ai eu la chance de naître le neuvième à la suite de quatre sœurs consécutives: Jeanine, Huguette, Lucette et Colette. J’imagine le regard attendri de ces petites et grandes sœurs voyant arriver enfin un garçon!
1er Partie
Ma petite enfance
La petite enfance de chacun était pareille et le chemin à parcourir fut le même pour tous, frères et sœurs. La première année se passait, sans relâche, puisqu’il y avait toujours des nouveaux-nés dans la même couchette placée près du lit de nos parents. Ce fut mon cas et Mado, je ne me souviens pas de sa fécondation, vint immanquablement usurper ma place de choix pour m’expulser au deuxième étage, dans une couchette plus grande dans la chambre de Jeanine et Huguette. C’est vers l’âge de trois ans, environ, que je me retrouvai dans le lit de Bertrand. Quelques années plus tard, je fus gratifié, avec Jean-Marie et Yvon, d’une vraie chambre. Je me rappelle que je dormais avec Jean-Marie, alors qu’Yvon occupait une large couchette au coin de la chambre.
Je trouve important de le souligner, je m’en rappelle comme si c’était hier, qu’à notre naissance, nous recevions tous, en cadeau, une paillasse gonflée de paille fraîche servant de matelas tant et aussi longtemps que nous n’étions pas propres. Comme ce matelas de fortune devenait d’une minceur alarmante avec le temps, je vous prie de croire à la propreté hâtive de chacun de nous.
Je dois avouer que mes premières années ont presque entièrement disparu de ma mémoire. Seuls quelques événements sont remontés à la surface. Je me souviens clairement de l’hiver où je fus assailli par une bizarre maladie qui me cloua au lit de nombreuses semaines. Il me reste un vague souvenir de grande faiblesse et d’évanouissements fréquents. Ce fut la levée de boucliers, car les soins et la vigilance de chacun réussirent à me remettre sur pieds. La garde-malade incita maman à m’envoyer jouer dehors le plus souvent possible pour me refaire des forces. Ce fut la meilleure solution.
Mon enfance
Vers l’âge de quatre ou cinq ans, je réalisai que l’on ne m’avait pas encore coupé les cheveux. Maman s’amusait à me faire des boudins et s’enorgueillissait de me voir courir ainsi. À cet âge, je ne portais pas grand intérêt à mes cheveux, jusqu’au jour où on décida de les couper. Dans ma tête d’enfant, je croyais que le fait de tondre une tête était des plus douloureux. On m’assit sur une chaise haute, maman trouva le premier chiffon disponible, un vieux caleçon de papa, me l’enroula autour du cou et, malheureusement pour elle, elle se retourna pour prendre ses ciseaux ce qui me permit de m’enfuir poussé par la peur. Je me retrouvai, en larmes, près du cran à travers les broussailles lorsque, subitement, je fus saisi par mes grandes sœurs qui me ramenèrent manu militari sur ma chaise haute, au pilori. L’opération fut de courte durée et à travers les larmes, je voyais tomber une partie de moi au sol et sur le caleçon de papa. Je ne sais pas si c’est le regret ou pour garder un agréable souvenir, maman accrocha un de mes boudins près de l’horloge. Celui-ci disparut avec mon enfance.
Papa m’avait accueilli à bras ouverts et m’amenait avec lui sur les chantiers de chemins de campagne. Assis près de lui dans la petite calèche, nous faisions l’inspection des travaux, plusieurs fois par semaine. Ce fut une belle période de complicité qui ne dura qu’un été.
Dès l’âge de six ans, à la fin de juin 48, mes sœurs prirent la responsabilité de m’initier à l’école avant que l’année scolaire ne finisse, puisque je commencerais à fréquenter la même école dès septembre. Elles m’amenèrent donc une journée dans ce haut lieu du savoir qu’était l’école du rang 7. Ce fut au cours du même printemps que la grange et l’étable furent érigées au bout de la cour. Ce fut pour moi et peut-être pour mes frères et sœurs une œuvre monumentale. Je ressentais une grande fierté en regardant ce monument et je crois que papa devait vibrer de joie devant ce rêve enfin réalisé.
L’école
L’école de rang ne fait surgir aucun souvenir extraordinaire. Je revois cette cohorte d’enfants, dont je faisais partie, parcourir le chemin rocailleux ou enneigé selon la saison, pour entrer dans un lieu exigu où trônait une maîtresse qui déversait son savoir à tour de bras, car nous n’étions pas tous prêts à entrer dans le monde du savoir. Il y en a même qui avaient certaines réticences face au savoir. Ces maîtresses nous arrivaient souvent du bout du monde. Pour ma part, cela me faisait rêver en imaginant un monde inconnu et toujours merveilleux là sur la même planète; Sainte-Thérèse étant notre seul univers connu.
J’aimerais pouvoir dire que les études primaires furent pour moi le début d’une vie intellectuelle débordante, ce ne fut pas le cas. Dans une classe à six niveaux où l’on passait d’une matière à l’autre selon les besoins de chaque degré, j’ai vite compris que je ne pouvais pas tout apprendre, puisque j’écoutais tout l’enseignement dispensé. J’appris, au moins à lire, écrire, compter, les prières, l’histoire sainte et surtout à rêver.
Le chien à Raymond Savard
Les élèves de première année avaient la chance de finir la classe une demi-heure plus tôt que les autres. J’étais le seul élève de première à retourner vers la maison paternelle. J’aimais faire ce trajet, insouciant du temps, déjà perdu dans mes rêves. Ce trajet qui me permettait tant de découvertes et de rêveries se transforma en une épreuve insurmontable. En effet, le chien de Raymond Savard, qui avait l’habitude de japper sur mon passage, un jour s’approcha de moi qui étais heureux de le caresser et, sans crier gare, il me mordit à la fesse. Je fus effrayé par ce monstre et le reste de l’année, je m’arrêtais à bonne distance de ce danger et j’attendais les plus grands pour rentrer chez nous. Cette période fut le début d’une méfiance indescriptible envers les chiens qui durera toute ma vie.
Quel gribouillis
J’étais en quatrième année lorsque papa débuta son interminable maladie. Les tâches de la petite ferme demandant plus de main-d’œuvre, je fus mis à contribution pour accomplir ces tâches avec Huguette. À nous deux, nous parvenions à nourrir les deux chevaux, les trois vaches, les poules, les cochons et nettoyer l’étable et le poulailler. Il faut aussi penser au bois de chauffage qu’il fallait rentrer à chaque jour. La maladie de notre père et tous les travaux ont sans doute contribué à l’échec de ma quatrième année; ce ne fut une catastrophe pour personne, occupés que nous étions par les malheurs de papa et la vie intense qui s’installait entre nos murs.
À mes dix ans, le décès de papa est venu chambarder encore plus notre vie qui jadis avait été si paisible. Huguette ayant trouvé un travail non loin de chez nous comme aide-familiale, je vis mes tâches doubler ainsi que mon désarroi devant l’énormité qui s’érigeait devant moi. Sensible à la détresse générale, je me suis efforcé de remplacer papa, tant bien que mal, dans une solitude étrange, accrochée, à ma survie, à celle des autres et à mes petits rêves. Des rêves les plus simples et les plus primaires qui se résumaient à faire plaisir à maman, par conséquent à tout le monde. Je n’avais pas le temps d’être malheureux ou découragé, j’étais engagé corps et âme dans un incontournable tourbillon.
C’est au cours de cette période qu’a commencé la plus salvatrice des connivences. En effet, j’ai commencé avec Yvon et Jean-Marie à inventer des jeux, parfois impossibles me permettant de tricher le quotidien. Je pouvais voler, ici et là, avec eux, des parcelles d’enfance qui m’étaient indispensables.
Dans le tourbillon qui entraînait toute la famille, je ne pouvais compter sur la gratitude ou la reconnaissance de quiconque. C’est pourquoi à certains moments j’éprouvais de la révolte et il m’arrivait de crier mon inconfort intérieur et de me défouler en secret dans la solitude de l’étable. Cela avait un effet apaisant et les vaches toujours aussi calmes semblaient me dire à travers leurs grands yeux qu’elles me comprenaient et que ça passerait; «Ce n’est pas la fin du monde» semblaient-elles dire.
Un chien dangereux
On pourra dire que cette période de ma vie fut étrange, elle fut aussi déterminante, je le crois, pour tout le reste de mon existence. Il est un événement que je voulais passer sous silence, puisque tragique à souhait. J’ai décidé de le raconter quand même, car il marque un point culminant dans ma vie d’enfant. Au cours de l’hiver qui suivit la mort de papa, on décida que je conduirais les plus jeunes à l’école avec le chien de traîneau. J’étais content de le faire, surtout que cela me permettait d’aller dîner à la maison. Pour mon chien, cela ne prenait que quelques minutes à parcourir la distance jusqu’à la maison. Un jour, un de mes amis, Roger Savard, me demanda de monter avec moi pour se rendre chez ses parents qui demeuraient sur mon chemin. Je fus heureux d’accepter sa demande et nous voilà partis, entraînés par mon valeureux chien. Au retour, je le ramenai avec moi vers l’école. Rendu sur les lieux, j’enlevai l’attelage du chien et l’attachai à la clôture entourant l’école lorsque celui-ci bondit vers Roger qui était tout près et d’un coup de dents, lui arracha entièrement le nez. Ce fut si subit et intense que je restai un moment stupéfait. Je voyais mon ami terrorisé, immobile, le visage ravagé, combien de secondes se sont écoulées avant que je l’empoigne par le bras pour le conduire à l’intérieur, je ne le sais pas. Nous étions tous les deux en état de choc. Tous les autres élèves, retournés par le spectacle qui se déroulait devant eux, semblaient eux aussi paralysés que nous. Ce n’est que quelques minutes plus tard, alors que notre institutrice revint de son repas, que le temps reprit son cours. Nerveuse, elle étendit Roger sur un banc et recouvrit sa blessure d’une serviette humide. Aussi accablée que nous, elle se tourna vers moi, le responsable de toute cette catastrophe, et m’ordonna d’aller chercher la garde-malade au village. Je partis donc à pied, le cœur en lambeaux, vers le village. J’avais environ cinq milles à parcourir avant d’y arriver. Après avoir parcouru une bonne distance, un des résidents du rang qui travaillait le long de la route s’inquiétant de voir un enfant marcher seul sur le chemin me demanda où j’allais et si j’avais besoin d’aide. Après lui avoir raconté en bref et en pleurant la catastrophe, il attela son cheval et me conduisit au village. Le retour se fit avec la garde-malade, en snowmobile. Roger repartit avec elle sur-le-champ et nous ne le revîmes plus de l’année scolaire.
Quand vint le moment de retourner à la maison ce soir-là, je n’osais m’approcher de mon chien, car j’en avais peur. Un voisin vint l’atteler pour moi. Arrivé à la maison, je le dételai avec méfiance, l’attachai à sa niche et m’empressai de m’éloigner de lui.
Le lendemain, un voisin vint trouver maman et lui offrit de tuer l’animal. Ce fut la fin des chiens de traîneau pour notre famille. Le souvenir de cette catastrophe m’est toujours resté présent en mémoire. Depuis ce temps, à chaque fois que je me remémore ce triste événement, le trouble que j’ai vécu ce jour-là m’envahit, et je pense à Roger, cette pauvre victime du service que j’ai voulu lui rendre ce midi-là.
Quelque temps plus tard, son père et sa mère vinrent rencontrer maman. Marcel était présent à la rencontre. Ils étaient venus demander une compensation financière pour le tort et les dépenses causés par ce tragique événement. Aussi pauvres que nous, ils se rendirent vite compte que nous ne pouvions répondre positivement à leur demande. Sans amertume, ils repartirent le cœur rempli de tristesse.
Roger vécut, semble-t-il, une vie heureuse. Je le revis à une occasion et je n’osai lui parler. Le temps avait passé et il ne m’a pas reconnu. J’aurais aimé lui exprimer mes regrets, mais les souvenirs me bouleversaient encore trop, après tant d’années. J’ai appris qu’il était décédé au cours des années 2000. Son souvenir n’est pas mort avec lui, pour moi…
Une mouvance indescriptible
Il ne me serait pas venu à l’idée qu’un jour nous quitterions ma terre natale. Cependant, ce moment arriva si subitement qu’il me semble que, du jour au lendemain, nous quittions pour une nouvelle terre d’accueil qui se nommait Paul-Baie, à quelques milles de Forestville.
Toute cette importante étape de notre histoire s’est déroulée comme dans un rêve. Je fus conquis par ce nouvel univers. Que de choses à découvrir! Les responsabilités étaient encore là, mais moins dérangeantes puisque je les avais transformées en jeu, en défis personnels. Je découvris aussi l’école du village; là, je me suis rendu compte qu’il m’était facile d’apprendre. Je pus, au cours de ces trois années réussir mon primaire de façon plus qu’excellente et rêver à des études plus avancées, comme le cours classique.
Fin d’une étape
Ici s’achève une étape qui fut sans doute déterminante dans ma vie. À 68 ans, je revis toutes ces péripéties et je perçois que rien n’est impossible quand on le veut réellement. Je pense à tous mes proches qui, eux aussi, ont dû se surpasser jour après jour pour atteindre leur but. Je pense aussi à tous ces êtres qui sont allés jusqu’à perdre la vie pour les leurs et ce que j’ai vécu n’est rien. J’ai peur de vous avoir ennuyés avec mes misères répétées et ma triste vie. Il ne faut pas croire que mon enfance fut une période sombre de mon passage sur terre. Au contraire, j’ai toujours considéré cette étape comme une expérience réussie avec succès. Ce fut une période de hautes tensions. Dieu merci, je n’étais pas seul. Des êtres extraordinaires m’entouraient et me guidaient par leur exemple de générosité et de courage. Maman, papa, mes frères et sœurs, et tous ceux qui en silence vivaient les mêmes misères que nous. Le rang 7 en était rempli. Je comprends qu’en ces temps, la lutte était féroce pour tous; voilà qu’après coup, ce combat contre l’adversité s’est amenuisé pour faire place à nos victoires personnelles et collectives. Malgré ce semblant de jeunesse manquée, je suis des plus heureux de ce qui m’est arrivé, au prix d’un petit bout de vie, mon enfance.
2e partie
Me voilà engagé sur une voie totalement inconnue, celle des études classiques. J’ai treize ans, je suis en septième année et notre excellent professeur M. Blais, qui eut sans le savoir une influence des plus positives, nous informe qu’il existe à Hauterive un collège, fondé depuis quatre ans, qui reçoit les étudiants ayant réussi avec grand succès leur diplôme de 7e année. Sans plus d’informations, je me mis à rêver d’études supérieures sans trop concevoir ce qu’il en coûterait de poursuivre un tel chemin. Ce désir d’études avancées ne fit que grandir de jour en jour. Mon malheur était que je ne pouvais révéler ce secret, ni à ma mère, ni à quiconque de mon entourage; j’avais peur d’être considéré comme un lâcheur alors que tous étaient encore à la tâche pour aider maman à surmonter toutes les sortes d’épreuves vécues au cours des dernières années, y compris le manque de ressources financières.
Le temps passait et je sentais qu’il fallait poser un geste si je voulais réaliser ce rêve. Je décidai donc d’en parler au Père Sirois curé de ma paroisse. Il avait fait un cours classique, il me comprendrait assurément. C’est au confessionnal qu’eut lieu la rencontre. Il fut sans doute surpris de voir que mon sac de péchés était vide, mais il m’écouta avec grande attention. Je lui fis part de mon désir de faire un cours classique, que je n’en avais encore parlé à personne et que j’aimerais avoir son aide.
Il me questionna, à savoir qui j’étais, reconnut en moi le fils de la veuve Fillion et me fixant dans les yeux s’enquit de mes résultats scolaires. Ma réponse fut que mes notes étaient de 95 % et plus. En souriant, il me demanda si je voulais me confesser pour ce mensonge. J’insistai et lui affirmai que c’était la vérité et il s’en amusa. Il termina en me disant qu’il vérifierait mon dossier et qu’il viendrait rencontrer maman pour en discuter. Quel meilleur ambassadeur que le curé! Maman était en vénération devant lui; la chose était bien amorcée.
Deux mois étaient passés depuis ma rencontre avec le curé, sans que rien n’arrive et j’avais presque tourné la page sur ce projet qui au fond ne dépendait désormais que des autres. Ce genre de projet était peut-être trop grand pour moi.
Ça chauffe
Nous étions aux premiers jours des vacances d’été, au début d’un bel après-midi ensoleillé. Je marchais dans le sentier forestier face à la maison, lorsque je vis arriver le «pick-up» vert du curé. J’aurais voulu à ce moment précis retourner en arrière et effacer tout ce projet. La tempête allait commencer, les questionnements, les doutes, la confrontation et peut être l’échec. Je savais que je ne serais plus maître de mon secret, donc «passer au cash» pour emprunter cette expression. À ce moment, j’avais presque honte de divulguer un désir, une volonté personnelle touchant autant d’aspects de notre petite collectivité, ce qui ne m’était jamais arrivé. Je me sentais sur le moment presque coupable.
Le curé quitta la maison environ une demi-heure plus tard. Je savais d’ores et déjà que je devais faire face à la musique.
Je laissai passer un peu de temps et je rentrai à la maison sans laisser voir que j’avais vu sortir le curé. La porte à peine ouverte, maman m’apostropha ainsi: «Le curé sort d’ici, il paraît que tu veux faire autrement des autres?» Ce questionnement me fit frémir. Après m’avoir semoncé pour n’en avoir parlé avant, et démontré que pour elle c’était une surprise de taille, je décelais dans son allure une certaine joie, je dirais fierté devant ce qui arrivait. Le curé lui avait annoncé qu’un tel projet demanderait des sacrifices de la part de tous et surtout de moi et elle m’en fit part. Ces paroles firent naître la peur que le projet ne voie jamais le jour. C’était la première fois que je prenais conscience qu’il faudrait payer pour tout ça et que l’argent pour ce faire n’existait pas. En tous les cas, dit-elle, je ne suis pas en mesure de prendre une telle décision seule, nous attendrons Marcel et Bertrand en fin de semaine pour terminer la réflexion.
Les quelques jours me séparant du verdict final me semblèrent très courts, car je savais que devant Marcel je ne ferais pas le poids et qu’il me retournerait facilement à l’envers dans mes vêtements. Il avait un grand cœur, cependant il n’avait pas encore toute la compassion que j’aurais souhaitée envers moi. Aussi, avait-il un certain ascendant sur maman. Ce serait sûrement un moment difficile. J’étais prêt.
Le jour du jugement arriva. Maman soumit à mes deux grands frères la nécessité de discuter de mon cas. Après avoir écouté les informations de maman, Marcel m’enjoignit d’attendre dehors pendant qu’une décision serait prise. Je savais le moment crucial. Ma vie était entre leurs mains.
On me pria de revenir et on me transmit la décision. «Tu peux étudier, à la condition de payer toi-même tes études». Ce verdict venait me faire réaliser toute la portée de mon rêve: le cadeau que je désirais, je devrais me le payer. Je n’avais pas encore imaginé que ça coûte des dollars étudier: 600 $ par année de pensionnat, en plus des vêtements neufs, des livres, etc. C’est la première fois que je réalisais que tout rêve a un prix, en courage ou en argent.
Au cours de la même fin de semaine, Marcel me décrocha un emploi pour toute la période des vacances. Le lundi suivant débuta ce que seraient les huit années suivantes: dix mois d’études, deux mois de travail. J’étais très heureux, enfin, de voir qu’une aventure extraordinaire m’attendait et j’étais prêt à y mettre le prix.
Mon premier été de travail me rapporta juste assez pour payer les études et le pensionnat. Ce n’était pas suffisant, car il manquait la somme nécessaire à acheter les vêtements obligatoires: blazers, pantalons, chemises, cravates, etc.
Nous étions dans une impasse. Je n’avais rien des vêtements obligatoires. Tout acheter équivalait à une somme appréciable et personne ne l’avait. Le bon père Sirois vint à la rescousse, je le remercie encore. Les hommes d’Église ont un don pour repérer les âmes charitables. Quelques jours plus tard, il avait trouvé cette personne qui offrait de défrayer cette dépense énorme pour le temps: 250 $. Je remercie cette dame de tout cœur; elle fit elle aussi partie du miracle qui me permit d’accéder à la réalisation de mon rêve.
En l’espace de deux mois, à partir d’un simple désir de poursuivre des études, j’avais fait la découverte des exigences du monde du travail, j’avais réalisé que tout se paye et surtout j’avais compris l’importance de la bonté humaine, après le don qui m’avait été fait. Ces deux mois avaient suffi pour faire basculer toute ma vie d’adolescent. J’avais du mal à tout comprendre ce qui m’arrivait. Ce retour dans le passé m’aide à le faire. C’est un peu tard pour exprimer ma reconnaissance, mais je le fais quand même; MERCI!
Tous les fébriles préparatifs débouchèrent enfin sur le départ tant attendu et appréhendé: l’immense valise de métal pleine à craquer, près de la porte, des vêtements neufs de la tête aux pieds, l’inconfort de l’attente du transport à l’autobus, tout contribuait à créer une atmosphère de détachement. Déjà, je sentais que nous étions rendus au bout de ce que nous avions à vivre et à dire. Un voile se déposait déjà sur une relation de toujours. Un petit deuil enveloppait cette circonstance remplie de vie et, déjà, de beaux souvenirs.
Maman, détendue et souriante comme toujours, remplissait toute la pièce de sa bonne présence alors que frères et sœurs assistaient curieux sans trop comprendre ce qui se passait. Dans ces occasions, on ne sait pas si l’on vit de la peur, de la peine, du détachement, du vide ou simplement tout ça à la fois.
Le klaxon du camion de monsieur Foster vint brusquement interrompre ce silencieux et intense moment, pour m’indiquer qu’il fallait partir. La valise fut placée dans la boîte arrière, je me retournai vers tous ces yeux qui me disaient au revoir, je leur répondis par un sourire maladroit et ce fut le départ.
Suivis par un nuage de poussière, le parcours jusqu’à la ville ne prit que quelques minutes. Mon conducteur déposa ma valise devant l’hôtel des Quatre Chemins et, me saluant en vitesse, il poursuivit sa route. L’hôtel des Quatre Chemins était un lieu de rendez-vous important pour notre communauté. C’était une halte pour les voyageurs de passage, un restaurant apprécié, un lieu de loisirs pour les jeunes voulant danser et s’amuser, et un arrêt d’autobus pour les voyageurs sans auto. C’était mon cas. Cet édifice était construit au coin de la route 138 qui longe le fleuve, de Québec à l’autre bout de la Côte-Nord et de la rue principale du village de Forestville. Ce lieu prit, pour moi une signification particulière: j’étais là, debout près de ma valise, dans un sentiment de solitude intense, de silence intérieur et dans une absence totale d’émotions. C’était une étrange sensation de vide entre un monde que je venais juste de quitter et l’inconnu. Je ne savais pas que plusieurs fois, au cours de ma vie, j’aurais l’impression de me retrouver à cet endroit, entre deux mondes.
Le reste du voyage se fit dans un calme bienfaisant, abandonné au moment présent. Le collège classique de Hauterive se dressait telle une montagne de granit devant l’autobus. Je fus très impressionné par le gigantisme de cet édifice. Il faut dire que je n’avais pas beaucoup sorti.
Je restai seul avec ma valise devant la porte. Un étudiant s’offrit pour la transporter dans le hall d’entrée, le parloir. À peine à l’intérieur, un prêtre vint à moi, se présenta et après avoir demandé mon nom, il confirma sur la liste qu’il tenait à la main que j’étais bien arrivé. Accueillant et affable, il me guida vers le secrétariat. C’est là que se réglèrent les formalités de la rentrée ainsi que la remise de toute la documentation concernant la vie au collège. Tout était clair et j’avais déjà une bonne idée de quoi seraient meublées mes prochaines années. Après cette rencontre, je ne pus contenir mon agréable surprise à la vue de l’immensité de ce collège; les dortoirs à perte de vue, les salles d’études, la cafétéria, tout était démesuré. J’avais peine à croire que je passerais des années dans ces murs.
La surprise du cadre physique du collège s’estompa vite devant le régime de vie que l’on nous offrait. Sans discussion, on ne nous laissa aucun choix quant à l’acceptation des règles et de l’organisation du pensionnat. Je compris que dorénavant, je n’aurais plus besoin de décider, car tout avait été pensé à l’avance pour moi: l’horaire de chaque jour, de la messe, du lever, du coucher, des cours, des périodes d’études, des repas, enfin toute notre vie avait été planifiée à la minute près.
Il ne suffisait que de se laisser couler dans cette rivière et ne prendre la seule responsabilité qui nous restait: ÉTUDIER.
Monseigneur Couturier officiait comme directeur général de l’institution. Le matin du premier jour, il était là pour nous souhaiter la bienvenue: «Vous êtes la future élite de notre société», disait-il. «Vous ne pouvez vous imaginer le privilège que vous avez d’être ici». Il nous fit alors comprendre qu’on ferait tout pour nous guider vers les plus hauts niveaux du savoir. Ce discours stimulant à souhait confirma que j’avais fait le meilleur choix.
Les études
Huit années à côtoyer les plus grands auteurs, de Villon jusqu’aux auteurs les plus contemporains. Le latin et le grec dans le texte s.v.p., lire Cicéron, les auteurs antiques dans leur langue, aborder toute l’histoire de ces grandes civilisations qui nous ont précédées et enfin approfondir les éléments essentiels de la philosophie. Voilà quelle fût notre tâche. Je fus heureux de pénétrer dans cet immense réservoir de connaissances et m’entretenir avec les plus grands auteurs et penseurs de tous les temps. Je fus emporté par ce courant à tel point que le reste devenait secondaire, assuré que j’étais dans la véritable voie de l’épanouissement. Dans une telle étuve, sans aucune distraction, aucune contradiction, il est facile de se sentir au-dessus de tout, comme invincible. L’ego prenait facilement son envol.
J’appris plus tard que c’est facile d’être bon quand on n’a pas l’occasion d’être mauvais; d’être fort, quand on ne rencontre pas d’obstacles; d’être courageux quand il n’y a pas de danger; d’être plein d’amour quand il n’y a personne à aimer; d’être charitable quand il n’y a pas d’indigence; d’être sociable quand on est coupé de la société. Voilà ce que je découvris au sortir du cours classique. Encore là, je compris qu’il y a un prix à tout. J’avais choisi et réalisé huit années d’études au détriment de huit ans de vie.
Mon instruction intellectuelle intensive venait de se terminer et je devais déjà commencer à apprendre à vivre pour vrai en société. Fini le monde des idées, il fallait apprendre à négocier avec la réalité, avec les vrais humains qui pendant toute mon absence avaient continué à vivre et à évoluer.
J’étais parti enfant, je revenais homme; il en était de même pour mes frères et sœurs. Je les avais quittés enfant, pour la plupart, et je les retrouvais adultes. Il était temps de reprendre le temps perdu. Apprendre la fraternité, l’amour, la famille, l’argent, les responsabilités, en un mot, tout.
Encore une fois, j’avais l’impression de me retrouver devant l’hôtel des Quatre Chemins avec ma valise attendant l’autobus pour l’école de la vie. Vite! J’ai huit ans de retard.
Il va sans dire que je me remémorais le discours de monseigneur Couturier et je ne reconnaissais pas, en moi, l’élite qu’il nous avait promise huit ans plus tôt. La tête était pleine, mais le cœur était vide...
Après coup, j’avoue que ma longue réclusion au Collège de Hauterive a été pleine de richesses. Ce fut comme une longue vacance, où les activités m’ont passionné du début à la fin. J’ai pu m’épanouir à souhait sur le plan intellectuel et artistique. Malheureusement, les autres plans sont demeurés stagnants. Était-ce le régime du pensionnat ou moi? Je ne saurais dire. Peut-être les deux.
3e partie
Le monde au travail
Mon choix de carrière s’avéra d’une facilité étonnante; la seule profession que je connaissais était sans contredit l’éducation puisque j’avais côtoyé tant d’enseignants au cours de mes années études. De plus, ce n’est pas sur la Côte-Nord que j’avais eu l’occasion de rencontrer et de connaître des professionnels de différentes disciplines. Les seules professions disponibles à notre entendement étaient la prêtrise ou l’enseignement. Comme plusieurs, je coupai au plus court et devins enseignant.
Quel bon choix ce fut! Parmi les professions qui exigent attention, oubli de soi, compassion et discernement, nous retrouvons l’enseignement. J’ai adoré enseigner et je crois que ma réussite fut conditionnelle à celle de mes étudiants. L’énergie des jeunes nous transporte et nous nourrit, quand on sait les recevoir dans leur énergie lumineuse.
Après quinze années dans l’enseignement, on m’offrit un poste de directeur que j’occupai pendant dix ans dans un collège privé. Par la suite, je suis allé terminer ma carrière chez les Indiens Cris de la Baie-James. Là, j’ai réalisé que les défis scolaires et sociaux exigeraient toute mon énergie, mon expérience et ma créativité. Je n’y ai pas réalisé de miracles, mais je crois que je fus un de ceux qui ont réussi, à force d’acceptation, d’ouverture, d’amour aussi, à communiquer sur une base de confiance et d’amitié avec eux. Ainsi, ont-ils pu, je crois, prendre en main, leurs destinées éducationnelles.
Cette période de travail à 1 000 kilomètres des grands centres vint clore une carrière de 33 années. La retraite sonnait enfin et la liberté qu’elle promettait aussi. Un vague sentiment de regret ne survécut pas devant la vie débordante de nouvelles expériences qui m’attendait.
4e partie
La retraite
Depuis une dizaine d’années, ma retraite a été meublée d’activités et d’expérience aussi variées qu’enrichissantes. La construction d’un atelier de menuiserie surplombé d’un atelier d’art fut ma première réalisation. Je ne suis pas un artiste extraordinaire, ni un ébéniste accompli, cependant créer des choses me rend heureux et c’est ce que je fis.
L’immense jardin que j’aménageai sur mon grand terrain me remplit de bonheur. Je pouvais enfin réaliser un vieux rêve: répéter le jardin de mon enfance et comprendre que l’on peut travailler en partenariat avec la terre. Quelle sagesse on peut en tirer!
Je n’aurais pu imaginer que je deviendrais chasseur de chevreuils. Quelles aventures j’ai vécues en forêt, seul ou avec mes frères ou mes amis. Au début, c’était pour moi un défi. Petit à petit, la chasse devenait prétexte au silence et à la contemplation de la nature. Les souvenirs qu’il m’en reste sont auréolés de paix, de fraternité et de beauté.
Je m’intéressai vite à la vie de ma paroisse, Weedon, en Estrie, village d’environ 2 000 habitants.
Ma première activité fut de joindre la chorale locale. Ce fut un bonheur et un honneur de côtoyer ces gens qui par leur voix rendaient les paroissiens heureux. Enfin, je pouvais voir la chorale sans détourner la tête.
Par la suite, on m’invita à joindre le conseil de fabrique à titre de président. J’occupai ce poste pendant au moins six ans. Ce ne fut pas la période la plus rutilante de ma vie. Il est vrai que j’avais vécu de nombreux autres défis dans ma vie. Cependant, je lève mon chapeau à tous ces êtres qui, bénévolement, donnent leur vie pour leurs principes religieux, espérant ainsi trouver leur salut ou encore provoquer le salut des autres. Cela peut sembler sarcastique sur les bords, mais je me suis rendu compte que je n’ai pas cette tendance à vouloir sauver les autres. Je leur fais plutôt confiance.
J’ai eu un plaisir fou à faire partie du conseil du journal local pour lequel j’ai écrit de nombreux articles. Cet épisode de plusieurs années m’a permis d’exploiter ma créativité, d’être au fait des divers questionnements de notre société et d’y apporter ma réflexion personnelle.
J’ai, de plus, accepté de présider le conseil d’administration de la coopérative funéraire La Québécoise dont le siège social se situait à Saint-Georges de Beauce. Ma dernière présidence fut celle du conseil d’administration du Centre de santé et des services sociaux du Haut-Saint-François.
Je suis heureux d’avoir découvert dans ce bénévolat, les besoins immenses de notre société et aussi j’apprécie au plus haut point les connaissances et les habiletés acquises lors de ces expériences.
En 2008, j’ai eu le bonheur d’acheter un chalet à Baie-Comeau, région de mon enfance. Cette acquisition m’a permis de réaliser le vieux rêve de rencontrer, dans ma liberté, frères, sœurs, amis, parents et de leur offrir un peu de mon bonheur. Il faut mentionner que le lac adjacent au chalet est très poissonneux.
Depuis, j’ai vendu la maison et quitté les vieilles habitudes pour consacrer mon temps à ces nouvelles expériences. Notre vie s’est retrouvée dans un luxueux condo loué à Granby, semble-t-il, jusqu’à la fin de nos jours, mais qui s’avéra d’un tel ennui, que, six mois plus tard, nous avons, Solange et moi, acheté une nouvelle propriété à Saint-Liboire. Que de déménagements, de changements en peu de temps! Maman dirait avec raison que je suis comme l’oiseau sur la branche et, sans aucun doute, elle aurait raison.
5e partie
La famille, l’amour
À la fin de mes études, l’image qui me vient de ma vie sentimentale est celle d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. N’ayant jamais eu de fréquentations amoureuses puisque cloîtré au collège, il faut imaginer qu’à 22 ans sans expérience et aucun avertissement, j’étais comme un ours débarqué sur une autoroute. Une queue de veau! dirait-on. J’avais imaginé que l’amour d’une fille, c’était comme si c’était la fête de Noël à chaque jour. Je ne peux que rire et être aussi un peu triste des frasques malhabiles que j’ai réalisées à cause de mon manque de références amoureuses.
J’ai appris que Noël n’est pas tous les jours et que l’amour dont j’avais rêvé n’existait pas. Que d’erreurs et de folies inutiles! Jusqu’au jour, où quelques années plus tard, je cessai cette vie de gaucheries et fermai ma porte aux amours impossibles. Je fus ainsi de nouveau cloîtré quelques années, question de réfléchir et guérir cette immense déception. Ma conviction était que l’amour, ce n’était pas pour moi. Trop compliqué!
Reclus dans mon appartement de Longueuil, accompagné d’un ami et Michel qui vivaient avec moi, la vie était tout ce qu’il y a de plus tranquille.
Un samedi soir, Michel et André mon ami, décidèrent d’un commun accord d’aller danser à Montréal. Je n’étais pas dans un état psychologique et physique pour les accompagner; une barbe de deux jours, des pantalons sports, la grande détente quoi. Prière de ne pas déranger. Tous deux se firent un point d’honneur de me sortir de mon hibernation et durent me tirer pour y réussir. Immense salle de danse, pénombre, piste de danse déchaînée de paires de fesses dansant le yé-yé, la bonne fumée qui venait embrouiller tout ça avec l’effet de la bière, il n’y avait rien là pour devenir hystérique. Ma vue s’était graduellement habituée à la pénombre quand je vis un grand sourire qui me regardait à la table voisine. Je m’approchai un peu et bang! La romance et l’amour me saisirent au cœur. Cette fois, j’avais trouvé la bonne et j’oubliai subitement toutes les résolutions prises au sujet de l’amour. Monique Laporte portait en elle toutes les qualités de simplicité, de douceur, d’humilité et j’en passe pour accueillir le coq qui dormait encore en moi. Pendant quatorze années de mariage, nous avons bâti ensemble une famille de trois merveilleux enfants qui lui ressemblaient beaucoup et que j’ai toujours trouvés beaux et intelligents. Tous étaient assurés qu’il était écrit au-dessus de nos têtes: «Jusqu’à ce que la mort les sépare.»
Ce ne fut pas le cas. J’avais réalisé une partie de notre projet, avec Monique, et un jour, sans que je ne m’en rende compte, l’édifice se mit à vaciller sur ses fondations. Au cours de ces années, contrairement au Petit Prince, j’avais oublié d’arroser ma rose chaque jour, convaincu que l’amour se nourrissait de lui-même. Ceci eut pour effet d’affaiblir notre relation au point de la rupture. Pris de panique, ne sachant comment rapiécer tout ça, rempli de mon super ego, je me retrouvai encore une fois devant l’hôtel des Quatre Chemins à attendre l’autobus pour le collège de l’amour. Je me rendais compte qu’après tout ce temps, je n’avais aucunement appris à aimer. Je laissais beaucoup de peine dans mon sillage, je le savais. Comment aurais-je pu calmer la peine des autres, alors que je ne pouvais exprimer la mienne que je ne comprenais pas? S’il y eut dans ma vie une période sombre, ce fut celle-là. Une carrière n’offrant plus aucun défi, la solitude, enfin la déception de soi.
Arriva, à ce moment, le défi du Nord. Aller là-bas et continuer autrement ma carrière. Je remercie la Vie de m’avoir ouvert une telle porte alors que toutes les issues semblaient irrémédiablement fermées devant moi.
À ce moment, tout ce qui comptait était de prendre du recul et comprendre. Aussi, le fait de subvenir aux besoins de mes enfants demeurait une priorité. Je m’accrochais à cette responsabilité comme à un lien essentiel entre eux et moi, malgré la distance.
Là, je retrouvai le courage et le désir de continuer cette vie faite de hauts et de beaucoup trop de bas.
Je comprenais que les plaies guérissent, mais demeurent presque toutes sensibles. J’étais comme un papillon qui se brûlait les ailes à chaque fois qu’il s’approchait de l’amour. En réalité, j’en avais un peu peur. Que d’occasions, de rencontres auxquelles je fermais mon cœur, conscient qu’il me manquait quelque chose pour réussir ce défi!

Il y avait une personne qui attendait au détour de ma route et qui m’offrit plus que son support: elle m’offrit de cheminer avec moi à travers ce que j’appellerais la voie de l’amour. Son nom est Solange Baillargeon. Femme de compassion, de bonté, de partage et de caractère, et moi, le rêveur, le parleur et aussi le confus, puisque sur certains plans, je n’avais pas encore appris. Même si la vie ne l’avait pas épargnée, avec patience elle ouvrit, pour moi, l’université de l’amour. Ce que j’ai eu la tête dure! Et elle entreprit de m’enseigner les rudiments de l’amour. Il y a 25 ans qu’elle s’évertue, sans baisser les bras, à coup de patience et d’impatience, à me rendre moins innocent, comme elle dit. J’espère qu’un jour j’accrocherai un autre diplôme au mur de ma vie. Ce sera la victoire de Solange et de tous ceux qui m’auront montré par leur vie que l’amour peut se vivre et se donner à chaque moment.
Aussi, je veux remercier Monique pour la bonne épouse et la bonne mère qu’elle fût et je remercie Solange, celle que j’aime, pour cette patience qu’elle met à me rendre moins innocent!
Mes enfants
Je suis père de trois beaux enfants:
Julie qui, dès sa naissance, a touché mon cœur par sa beauté, son intelligence et sa débrouillardise. Elle est mère d’un beau fils, Nicolas, qui fait d’elle une mère attentive et aimante.
Mathieu qui, depuis sa naissance, déborde d’énergie et de projets à faire peur. Il a la sagesse de les réaliser et s’avère un père formidable pour son fils, Éliot, que j’aime tant serrer sur mon cœur. Mathieu, c’est l’ami que tous recherchent tant il déborde d’accueil.
Pierre-Luc, le dernier de mes enfants, que je n’ai pas encore fini de découvrir. Plein de sensibilité, de talents et de force, il est devenu avec le temps un homme admirable qui fait ma fierté.
Ma vie spirituelle
Toute ma vie, la spiritualité fut pour moi une quête de tous les instants. La religion catholique m’a bercé, par mes parents et mon enfance baignée de ses préceptes et de ses dogmes. J’ai voulu aller plus loin, par tous les chemins disponibles. Que de recherches j’ai faites pour apprendre que tous les chemins, et même l’absence de chemin, mènent à Dieu, puisqu’il vit dans toute sa création et par conséquent en nous! Selon moi, tout n’est question que de relation avec Lui; que la spiritualité est faite pour remplir l’âme de chacun selon son propre chemin. Dieu me donne un exemple que je voudrais être capable d’imiter: Il aime depuis la nuit des temps en silence. Pour terminer cette réflexion, je citerai une phrase de Saint François-d’Assise: «Consacrez votre vie à enseigner la parole de Dieu, l’Évangile, et si besoin est, parlez-en.»
Rétrospective
Espérant ne pas avoir trop ennuyé ou scandalisé qui que ce soit par ce récit qui au départ ne devait couvrir que quelques pages. L’écriture de ma vie fut un plongeon dans le livre de mon passé dont les pages étaient restées closes, même pour moi. Ma vie fut une suite d’apprentissages successifs et j’espère que ça touche à sa fin, cela m’a rendu plus sage. Au fond, même si elle fut rocambolesque, j’aime la vie que j’ai vécue. Quel plongeon extraordinaire dans le passé, quelle thérapie!
Je ne voudrais pas terminer sans vous avouer la conscience que j’ai d’avoir, sans m’en rendre compte, blessé d’une façon ou d’une autre quiconque d’entre vous. Je vous en demande pardon si c’est arrivé. L’écriture de ma vie me révèle que dans notre famille, il y eut quinze vies aussi intenses et que chacun d’entre nous a poursuivi une trajectoire de vie grande et sublime. C’est la victoire quand il ne reste que l’amour. Bravo!
Je suis encore une fois devant l’auberge des Quatre Chemins avec ma valise. Il me reste à apprendre à être grand-père. Mes petits-fils me l’apprendront assurément. Si un jour vous me voyez devant ce même hôtel, sans valise, passez votre chemin, j’attendrai alors l’autobus pour l’université de Dieu. Cela risque de durer longtemps, comme vous vous en êtes rendu compte, je n’apprends pas très vite…

Madeleine

Je suis âgée de 66 ans et je demeure à Val-Bélair. Mon conjoint se nomme Guy Martel, retraité de 60 ans. Je suis devenue membre de la famille Fillion à ma naissance, le 8 juillet 1943. J’étais par le fait même le dixième joyau de nos parents.
Les guêpes
Voici quelques souvenirs qui ont marqué mon enfance: je ne peux passer sous silence l’épisode où Jean-Guy nous a amenés, Jean-Marie, Yvon et moi, sur la montagne derrière la grange. C’était dans l’intention de couper du bois avec de vieilles lames rouillées jetées là par papa. À peine avions-nous commencé à faire semblant de couper ce bois, qu’une nuée de guêpes s’abattit sur nous. Bien sûr qu’elles se firent un régal de la belle peau blanche que j’ai toujours eue… C’est une farce! Mon retour à la maison s’est fait dans la souffrance. Je ne pensais plus à ma belle peau blanche; je n’oublierai jamais la souffrance que j’ai endurée ce jour-là. Heureusement, maman est parvenue à éteindre le feu provenant de ces multiples piqûres.
Le pensionnat
Je me rappelle le désarroi provoqué par ma séparation de la famille lors du départ pour le pensionnat. C’est Colette qui fut la personne la plus aidante que j’aie connue lors de cet exil. C’est là que les sœurs grises ont décidé de couper les longs cheveux qui faisaient ma fierté. Je les portais très longs, depuis ma tendre enfance. Parfois, maman ou une de mes sœurs les tressaient et à d’autres moments, je les laissais tomber ou encore je me faisais d’autres coiffures. Cela provoqua chez moi une tristesse profonde que l’on m’enlève, sans mon consentement, une partie importante de mon identité. Lorsque nous fêtions Noël au pensionnat, j’avais la permission de visiter Jean-Marie et Yvon à l’orphelinat voisin. Maman profitait de l’occasion pour nous visiter et nous apporter des cadeaux qui faisaient notre bonheur. Les visites de maman nous remplissaient le cœur de bonheur de voir que l’on nous aimait encore.
Les vacances
Quel bonheur de rentrer à la maison pour les vacances d’été! Lors de l’une de ces vacances, je me souviens, je suis sûre que c’est encore la faute de Jean-Guy, de m’être prise dans un hameçon de pêche. Je pouffe de rire encore de me voir revenir à la maison, non seulement avec l’hameçon, mais aussi avec la canne à pêche.
Le travail
Le premier emploi d’importance que j’ai eu fut pour la compagnie Pascal. J’y ai œuvré pendant 21 ans à titre de coordonnatrice de trois départements: meubles, jardinage, et peinture. C’est à Québec et Sainte-Foy que j’ai rempli ces fonctions.
Par la suite, j’ai œuvré, comme gardienne d’enfants, à titre de gouvernante «pour faire plus pédante», pendant 18 ans. Ces enfants, je les ai aimés comme les miens. J’ai suivi leur évolution de la petite enfance jusqu’à a vie adulte. Notre relation est toujours demeurée chaleureuse et pleine d’amour réciproque.
Moments importants
À une période où je vivais une grande solitude, j’ai rencontré Guy qui fût pour moi le compagnon dont j’avais toujours rêvé. Il eut sur moi une grande influence par les qualités qu’il possède. Sa débrouillardise, son sens de l’économie, son humour, sa sincérité et l’ordre qu’il fit régner dans notre vie. Les moments les plus importants passés avec lui furent ceux où il construisit de ses propres mains une maison pour nous deux.
Personnes importantes
Il y eut plusieurs personnes importantes dans ma vie: celles qui m’ont le plus marquée furent maman, par son amitié, son écoute et son ouverture, Jeanine, qui fût aussi pour moi une présence précieuse et en secret je l’admirais, ainsi que tous mes frères et sœurs.
Ma plus grande réussite
J’avoue que la plus grande réussite de ma vie fut ce moment où, il y a quelques années, j’ai décidé de faire un genre de retraite nommée: Agapé Thérapie. Là, j’ai pu, pour la première fois, faire un retour sur ma vie dans une grande compréhension et un grand respect. J’ai pu me débarrasser des jugements sur moi et les autres et trouver enfin une sérénité jamais encore vécue. Merci à Lise ma sœur de m’avoir guidée vers ce centre.
Moments difficiles
Il va sans dire que tout n’a pas toujours été facile pour moi. Le moment le plus difficile fut sans doute ce moment où j’ai perdu mon emploi et par surcroît, mon amoureux. J’éprouvais un immense découragement et l’avenir m’apparaissait sans espoir.
Je restais cependant disponible à ce que la Vie avait à m’offrir.
Résultat: rencontre de Guy et nouveau travail. Au fond de moi, je constate que j’ai toujours été heureuse. J’ai acquis plusieurs qualités au cours de mon existence: la ténacité, l’amour de la vie, la chaleur humaine, la générosité, l’humour, le goût du risque, l’honnêteté, l’esprit de famille.
Voici mon message :
«Profitez de la vie comme si c’était le dernier jour. Prenez ce que la vie vous donne.»
Mado

Jean-Marie

Je suis né le 21 novembre 1944, d’Eugène Fillion et Antoinette Langlois. Je suis le 11e d’une famille de 15. Ils m’ont surnommé Jean-Marie, le nom du défunt Jean-Marie décédé au Lac Saint Jean plusieurs années avant ma naissance, quelle bonne idée! J’ai dû porter sur mes épaules le poids d’un mort toute ma vie, ce qui ne fut pas très amusant. Mon parrain et ma marraine, mon frère et ma sœur Janine et Bertrand, furent très intentionnés pour moi. Je les remercie du fond du cœur.
Ma petite enfance de 1 an à 8 ans s’est passée à Sainte-Thérèse de Colombier, rang 7 et ne cherchez pas cela sur la carte, car vous ne trouverez pas. Endroit isolé à environ 10 milles du village. Le dépanneur était à la portée de la main... Ha! Ha! On en a mangé du nanane.
Ce que je me rappelle de mon enfance c’est le travail de ma mère qui était multiple. Elle travaillait de 6 heures du matin à 10 heures du soir sans jamais se plaindre. C’était une femme très courageuse et très forte. Le travail de mon père, de Marcel et de Bertrand sur la terre, était de clôturer la terre, faire les foins et du défrichage avec le tracteur qui était le plus gros et le plus puissant du rang. Nous, les plus jeunes étions bien impressionnés de voir Marcel se morfondre à essayer de mettre en marche matin après matin cet énorme mastodonte dans un nuage de fumée pour enfin réussir à le faire démarrer. L’automne et l’hiver, les 3 hommes se retrouvaient dans les chantiers à bûcher pour rentrer des sous à la maison.
Ce fut le début de l’école à l’âge de 7 ans, expérience qui ne fut pas trop difficile car j’étais bien entouré. Collette, Jean-Guy, et Madeleine qui avaient déjà une bonne expérience me servaient d’escorte, ce qui était très rassurant. Ma maîtresse s’appelait Lucile Duchesne, je l’aimais beaucoup, elle était belle et fine. J’aimais l’école, à mes débuts ça me captivait d’apprendre de nouvelles choses. Je me rappelle les marches que l’on devait faire pour se rendre à l’école, il y avait un mille de distance qui l’été se faisait assez bien mais l’hiver c’était une toute autre chose. Les chemins n’étant pas déneigés, il fallait parfois se débrouiller dans la neige aux genoux et dans un froid sibérien pour se rendre à destination, ce n’était pas toujours facile. Nous n’avions pas le choix, c’était la loi de l’époque.
Cette période du début des classes ne fut pas très facile dans la famille. Mon père tomba malade du cancer ce qui le rendit inapte au travail et dût être hospitalisé à plusieurs reprises à Québec et Montréal, ce qui ne changea rien à sa condition. Il était condamné. Après 2 ans de lutte, il nous quitta en mars 1953, chose que je me rappelle comme si c’était hier. La tristesse et la peine remplissaient la maison. Le contrôle était de rigueur car mon père était exposé dans la maison, il fallait rester fort devant les gens qui venaient se recueillir sur le cercueil.
Quelques mois après son départ, ma mère et mes frères plus âgés décidèrent de déménager à Paul-Baie, rang qui se situait à quelques milles de Forestville. Quel changement pour nous les plus jeunes qui n’avions pas connu autre chose que le rang 7 de Sainte-Thérèse de Colombier. La maison était plus luxueuse, plus grande, avec un poulailler, quelques poules qui ne passèrent pas l’hiver, chaque matin on en trouvait une ou deux gelées, une étable qui abritait une petite vache et une petite terre tout autour de la maison où un ruisseau passait pas très loin et qui faisait la joie de toute la famille. Nous, les plus jeunes, en avons profité au max. Que de baignades, de randonnées de pêche, de bonnes parties de hockey l’hiver et même de trappage, j’ai même attrapé deux visons qui m’ont rapporté 100 $ que j’ai remis à ma mère. Elle était bien contente car elle en avait bien besoin. C’était le paradis.
La plus belle expérience de cette époque, fut de passer l’été dans le bois 100 milles en haut de Baie-Comeau avec Yvon comme garde-feu. La joie fut de courte durée. La situation économique de ma mère après la mort de mon père était à son plus bas niveau, elle a dû prendre la décision de m’envoyer avec Yvon à l’orphelinat pour pouvoir subvenir aux besoins de la famille. Ce fut deux années complètement perdues pour nous deux. Je ne veux pas m’étendre plus longtemps sur le sujet.
À notre retour de cette mauvaise aventure dans ce lieu de perdition, nous sommes revenus dans la famille et avons fini notre primaire et notre secondaire. Après les études, ce fut le travail. Mon premier travail fut dans une banque pendant 2 ans. Je n’aimais pas beaucoup ça, donc j’ai changé de travail.
Comme il n’y avait pas beaucoup de travail sur la Côte-Nord, je suis parti pour Montréal en 1966. Quelle découverte, la grande ville avec toute cette vie active; il y avait des gens partout, les autobus étaient remplis ainsi que le métro qui était tout neuf. Les conversations concernaient la venue prochaine de l’Expo Universelle 67. L’adaptation n’a pas été trop difficile.
J’ai vécu la plus belle période de ma vie en cette période de festivité (Expo 67). Je découvrais le monde, c’était la fête à tous les jours pendant six mois, c’était merveilleux. Je suis encore un peu nostalgique de cette époque. Durant cette période, mon frère Jean-Guy est venu me rejoindre et il embarqua dans la fête. Au milieu de l’été, ma mère et mon frère le plus vieux, Marcel, se rendirent à Montréal pour me supplier de retourner sur la Côte-Nord. Ils trouvaient que ma vie était en perdition. Dans la famille, vivre des événements exceptionnels et s’amuser n’étaient pas dans les normes.
Après l’Expo, je suis revenu sur la Côte-Nord. Après quelques mois de recherche d’emploi, j’ai commencé à travailler pour Irving Oil. Ma fonction consistait à faire le travail général de bureau, travail que j’aimais beaucoup. Après six ans de ce travail, que je trouvais routinier, je pris la décision de partir pour Québec. J’avais besoin de changement. Je voulais vivre autre chose et entreprendre des études. J’ai fini un DEC en sciences humaines au CÉGEP de Sainte-Foy et ensuite deux sessions à l’Université Laval en sociologie que j’ai dû abandonner faute d’argent occasionné par la perte d’emploi. Plus tard, j’ai terminé une attestation d’agent immobilier au CÉGEP François-Xavier-Garneau.
À mon arrivée à Québec, j’ai eu plusieurs emplois: travail de bureau au CCC, arpentage sur la construction de l’autoroute 73, Centre d’accueil le Phare, travail avec les jeunes en difficulté, travail dans plusieurs ministères gouvernementaux comme agent de bureau. Ce dernier travail consistait en des contrats d'un an chaque fois et au Centre Multiethnique intervenant auprès des nouveaux arrivants comme réfugiés qui provenaient des quatre coins du monde.
Quelque mois après mon arrivée à Québec, j’ai rencontré ma conjointe Hélène Paquet. Nous avons eu trois enfants. Le premier qui est né en 1975, se nommait Marie-Claude qui nous a quittés un mois après sa naissance. Ce fut une période très difficile à passer. Entre temps, nous nous sommes acheté une maison à Saint-Étienne-de-Lauzon. Heureusement, deux beaux enfants sont venus combler notre nouvelle demeure et notre vie quatre ans plus tard. Le premier nous est arrivé en mai 1979, Jean-François et ensuite deux ans plus tard une belle fille, Marie-Josée, en septembre 1981.
Divorcé en 1989, je suis parti pour Longueuil pour une période de deux ans. J’ai travaillé à Radio Rive-Sud comme responsable des projets de financement et Carrefour le Moutier en relation d’aide auprès de personnes en difficulté.
De retour à Québec après deux ans et sous l’insistance de mes enfants, j’ai travaillé comme agent d’immeuble pour Camille Germain pendant sept ans ainsi qu’au Centre Multiethnique, contrat d’un an. Présentement je suis grand-père et retraité. Je vis assez individuellement, choix que j’ai fait. Mes loisirs et sports: tennis, golf, vélo et marche journalière. Mes activités intellectuelles: lecture, films et Internet. J’ai 67 ans, en pleine forme, avec encore beaucoup de projets pour l’avenir.
Je vous quitte en vous souhaitant longue vie et le paradis à la fin de vos jours.
PS : Yvon tu n’es pas le 11e mais le 12e d’une famille de 15.

Yvon

Le douzième d’une grande famille de 15 frères et sœurs. Le cinquième de frères et sœurs vivants.
Écrire son histoire revient à faire le bilan d’une vie. J’ai toujours pensé que l’histoire du vécu d’une personne, de la naissance à la mort, se déroule comme dans un film. La seule différence est que le scénario du film n’est pas écrit d’avance, il s’écrit à l’instant même où l’action se passe et vous en êtes toujours l’acteur principal.
Heureusement, dans mon cas je connais déjà le scénario ainsi que le déroulement du film, car je les vis depuis plus de 60 ans et j’espère continuer pour quelques années encore.
Mon parcours
Mon histoire débute à Sainte-Thérèse de Colombier. Je suis né le 21 juin 1946 et baptisé sous le nom de Joseph-Yvon-Maurice Fillion. Mon prénom actuel est Yvon; à ma naissance je m’appelais Maurice, mais mon père, suite à un désaccord profond avec un certain Maurice, m’a rebaptisé Yvon. Cela commence bien un scénario de film, l’acteur principal change son prénom pendant le tournage…
J’ai vécu mon enfance sur la Côte-Nord jusqu’à six ans, à Sainte-Thérèse, de 7 à 11 ans à Paul-Baie, et mon adolescence s’est passée à Forestville. Après mon secondaire, je me suis enrôlé pour une période de deux ans dans l’Aviation Royale du Canada. À ma sortie de l’aviation, ce furent quelques mois d’exploration et de recherche d’emploi à gauche et à droite. Ensuite, ce fut pour moi l’année chanceuse. J’ai rencontré Yolande, ma femme, au Cap-de-la-Madeleine et j’ai déniché un emploi comme technicien chez Bell Canada à Joliette.
J’ai été à l’emploi de Bell Canada 34 années, de 1969 à 2003. J’ai pris ma retraite à 57 ans, le 31 décembre 2003. Si je compte bien, cela fait 7 ans que je suis libre comme l’air. Travailler pour Bell était stimulant. J’étais toujours à la fine pointe de la technologie et j’adorais l’ouvrage que je faisais. Yolande et moi aimons beaucoup les voyages, la lecture et adorons recevoir nos enfants et nos petits-enfants.
Ma famille
En décembre 1968, je suis tombé follement amoureux d’une jolie brunette qui se nommait Yolande. Environ onze mois plus tard, le 11 octobre 1969, date mémorable, pour moi, j’ai mis mes plus beaux habits, j’ai ajusté ma cravate et je me suis marié à Yolande Béliveau. Fille de J. H. Rosaire Béliveau et de Marguerite Trudel, née à Montréal le 14 septembre 1947. Nous sommes mariés depuis 41 ans et avons trois beaux enfants Dominic, Jonathan, Marie-Claude et six petits-enfants, que nous chérissons et adorons.
Nous demeurons présentement depuis octobre 1981 au 401 Élément, Trois-Rivières (secteur Saint-Louis-de-France). Avant, nous avons demeuré 10 ans à Saint-Jérôme, de 1969 à 1979. À notre arrivée à Saint-Jérôme, nous avons été locataires. Une année sur la rue Saint-Georges, ensuite deux ans sur le boulevard Bourassa, une année sur la rue Clermont et finalement nous avons acheté une maison au 28, boulevard Saint-François (secteur Domaine Laurentien) Saint-Jérôme.
En juillet 1980, suite à une demande de transfert, nous avons vendu la maison de Saint-Jérôme et sommes déménagés au 48, rue Landry à Saint-Antonin, une petite municipalité près de Rivière-du-Loup. J’ai travaillé un an sur le réseau transcanadien de micro-ondes et dans les tributaires téléphoniques reliés à la centrale téléphonique de Rivière-du-Loup. Après un court séjour de travail à Rivière-du-Loup, une année et quelques mois à peine, j’ai demandé un transfert pour la ville de Trois-Rivières, trois semaines plus tard, la famille au complet aménageait à Saint-Louis-de-France, banlieue à proximité de Trois-Rivières.
Maintenant, projetons le film de ma vie sur grand écran.
Mes souvenirs d’enfance
J’ai quatre ans, je suis assis sur la descente en bois donnant accès aux immenses portes de grange de la ferme familiale. Je me tiens la tête à deux mains, je marmonne une phrase qui dans la tête d’un enfant de quatre ans est d’une logique implacable. «J’aime mieux mourir que souffrir.» La situation est grave, la visite chez le dentiste est imminente. D’après mes frères et sœurs, c’est une vraie boucherie. Des images de cochons, de vaches, de poules ensanglantées me trottent dans la tête.
À cette époque, les dentistes ne faisaient pas beaucoup de prévention et possédaient comme seul instrument chirurgical une grosse paire de pinces et un analgésique d’une efficacité douteuse. Les plombages n’existaient pas, encore moins les radios. Alors le dentiste, lorsqu’il doutait de la présence d’une carie, arrachait la dent visée et les deux autres de chaque côté au cas où….
Voici quelques souvenirs de mon enfance. Je revois mon père revenir du chantier et la maisonnée s’activer. Je me tiens en retrait, je le regarde assis à la grande table de cuisine, j’écoute ses histoires de chantiers, de bûcherons, de chevaux qu’il raconte avec animation pendant qu’il est en train de manger. Je suis fasciné par ses histoires, ses mimiques et surtout par les mouvements désordonnés de sa mâchoire lorsqu’il apporte la nourriture à sa bouche, en mastiquant le côté droit de son visage se contorsionne, se déforme faisant apparaître des creux, des bosses et des sillons sur sa peau vieillie et burinée par le soleil. Il ressemble à un vieux loup de mer qui a l’expérience du grand large et qui sait affronter les tempêtes. Dans mes souvenirs d’enfant, je le trouvais très sévère, pas très chaleureux et tellement sérieux. C’était une personne active qui travaillait du matin au soir, l’été sur la ferme familiale, l’automne sur le parachèvement de nouvelles routes et l’hiver dans les chantiers. Il me reste peu de souvenirs de mon père, car lorsqu’il nous a quittés j’avais à peine six ans. Avec le recul je crois que son attitude sévère était dictée par l’énorme responsabilité qu’il avait de subvenir aux besoins de toute cette marmaille, il n’avait pas le choix de faire régner une certaine discipline avec la gang d’enfants courant de gauche à droite sur la ferme familiale. Ma mère n’arrêtait pas souvent non plus. Je la revois encore dans la cuisine, chauffant le poêle à bois, surveillant la soupe qui mijotait sur le poêle tout en s’occupant des égratignures et des pleurs d’enfants qui s’accrochaient à sa robe. Elle consacrait aussi son temps au potager, aux repas, au lavage, à la couture, au tricot, aux animaux et j’en passe. C’était une «Super Woman»
En fermant les yeux, je revois encore la vieille bagnole près de la grange où le chien Mathias avait sa niche. Je distingue aussi très bien tous les bâtiments, l’atelier où il ne fallait surtout pas toucher aux outils de mon père, la grange aux portes immenses, le poulailler. J’aperçois les grands champs, le jardin, le cran usé, situé en face de la maison où l’on aimait tant aller cueillir et manger des bleuets.
Mes souvenirs de la maison familiale. Au rez-de-chaussée, une immense cuisine avec le gros poêle à bois, la chambre de mes parents, le petit salon, la boîte à bois sous l’escalier. En montant les marches pour accéder au deuxième étage, on apercevait une trappe fixée d’un côté de l’ouverture de la cage d’escalier permettant de fermer l’accès au deuxième étage. (Selon Jean-Marie il n’y avait pas de trappe) Dans mes souvenirs d’enfant, je vois bel et bien une trappe, alors on a sans doute tous les deux raison. La première pièce que l’on rencontrait à l’étage était une grande aire ouverte, c’était notre chambre à Jean-Marie et moi. Les autres pièces voisines étaient les trois chambres à coucher de mes frères et sœurs.
Ma mère était l’âme de la maison, elle occupait tout l’espace. Mon père était la force, la sagesse, la raison et surtout le pilier principal sans qui tout s’effondrait. Lorsqu’il tomba malade, on aurait dit que toutes les pièces de la maison devinrent sombres et lors de son dernier respire, le temps s’arrêta. Après la mort de mon père, on déménagea à Paul-Baie, petite campagne à vingt kilomètres de Sainte-Thérèse de Colombier tout près de Forestville. Pour nous, enfants, la transition était parfaite, on laissait une grande ferme pour une fermette à la campagne. La maison était grande, il y avait une grange, un grand champ et un emplacement pour un énorme jardin. Mais ce qui nous a réjoui par-dessus tout, il y avait un ruisseau à deux pas de la maison juste au pied d’une grande côte. Combien de fois Jean-Guy, Jean-Marie et moi allions en excursion avec nos gréements de pêche! Une branche d’aulne, une épingle à couche en guise d’hameçon, du foie de lard pour appâts et vogue la galère, on allait attraper de la truite. Nous connaissions toutes les fosses à truite, sous les troncs d’arbres tombés à l’eau, dans les courants sinueux et surtout en bas des chutes où les remous se formaient avec une mousse blanchâtre sous laquelle nos monstres étaient insatiables. Nous sautions allègrement de roche en roche et plus souvent qu’autrement, nous prenions un bain forcé. Le sentier le long du ruisseau, suite à nos nombreuses excursions, était tapé comme si un troupeau d’éléphants avait piétiné le terrain pendant toute une année. Le nombre de monstres de quatre pouces que nous attrapions aurait pu nourrir une armée. Je me souviens d’une pêche mémorable où sans exagérer, nous avions attrapé 144 truites soit douze douzaines. Nous les avions mises côte à côte sur la galerie et il avait fallu monter sur une chaise pour voir jusqu’à l’extrémité, j’exagère à peine…
Ma première année d’école se fit en deux phases suite à notre premier déménagement. Un début chaotique à Sainte-Thérèse et le reste de l’année se poursuivit à Paul-Baie. Malgré ces bouleversements, j’aboutis en deuxième année du primaire à la fin des classes. Les deux années suivantes furent plus laborieuses. Ma mère, depuis la mort de mon père, avait de la difficulté à joindre les deux bouts. Sur l’avis sans doute du curé du coin, elle décida de nous envoyer Colette, Madeleine, Jean-Marie et moi-même à l’orphelinat de La Malbaie. Cette action lui permit de rétablir ses finances temporairement pendant cette période difficile. Je garde un souvenir douloureux de cette période. J’étais déraciné, j’avais perdu mes points de repère. Ces deux années, je les ai subies plutôt que vécues. Ce fut un mauvais rêve…
Après ces deux ans d’exil, nous déménageâmes à nouveau quelques kilomètres plus loin dans la municipalité de Forestville. Je terminai mon secondaire à l’école Dominique Savio. J’ai vécu une grande partie de mon adolescence à Forestville. Mon frère Jean-Marie et moi étions inséparables. Nous partagions la même gang d’amis et avons fait les 400 coups ensemble. Je me rappelle les fins de semaine où nous allions avec la gang «au six milles» dans un vieux camp abandonné dans la forêt près de la rivière Sault-au-Cochon, un endroit où la nature était d’une beauté à couper le souffle. C’était la liberté, nous avions des ailes, la joie de vivre et la bonne humeur étaient contagieuses.
Pendant et après mon secondaire les débouchés étant rares. J’occupai différents emplois dont voici les plus importants: âgés de 15 ou 16 ans, Jean-Marie et moi avons gardé pendant deux mois une tour de garde-feu en pleine forêt au lac Lablache, à 100 miles au nord de Baie-Comeau. J’ai travaillé aussi comme draveur à l’Anglo Canadian Pulp, débardeur sur des bateaux amarrés au quai de Baie-Comeau (je cordais de la pitoune dans la cale des bateaux à cœur de journée) et pour finir, commis à la boulangerie de Forestville. Mes frères et sœurs m’agaçaient souvent en me voyant revenir de la boulangerie avec un pain sous le bras et me chantaient en cœur (le bon pain si bon, si frais, Simard).
Durant toute ma jeunesse et mon adolescence, ma mère fut pour moi un exemple, un modèle et un guide, par sa détermination, son courage et sa force de caractère. Seule, avec plusieurs enfants à la maison, elle a su mener sa gang à bon port, malgré le manque de ressources aussi bien monétaires que matérielles. Chapeau! Maman pour l’abnégation, Chapeau! Maman pour l’ingéniosité, Chapeau! Maman pour la grandeur d’âme. Si chacun de nous a pu tirer son épingle du jeu dans la vie, il le doit en grande partie à notre mère.
Je m’en voudrais de ne pas vous raconter quelques anecdotes cocasses de ma jeunesse sur la Côte-Nord. La pièce de théâtre pour la fête des Mères concoctée par Jean-Guy; c’était sa première mise en scène et Jean-Marie et moi étions les seuls figurants et servions de cobayes. Après avoir installé les décors, deux chaises côte à côte recouvertes d’un drap blanc, Jean-Marie et moi devions simuler les embûches de René Goupil attaqué et martyrisé par les Amérindiens. Nous montions et culbutions en bas des chaises pendant que Jean-Guy lisait langoureusement la lettre de René Goupil à sa mère. C’était très, très émouvant et si je me souviens bien notre mère avait une larme aux yeux.
Très jeune, j’appris bien vite le métier de cascadeur. Dans la grange à Paul-Baie, nous avions inventé un raccourci pour descendre du fenil où était entassé le foin vers le plancher de la grange sans se servir de l’échelle. Nous avions pris un grand chaudron muni de deux anses auxquelles nous avions passé une corde, un bout de la corde était attaché à une poutre du fenil et l’autre bout au tracteur sur le plancher d’en bas. Le principe de fonctionnement était simple, il suffisait de s’asseoir dans la cuve et de se laisser descendre en bas, guidé par la corde. Comme personne ne voulait s’aventurer à inaugurer l’invention, je fus désigné comme pilote d’essai. Il n’y eut qu’une seule descente, la cuve après avoir glissé quelques pieds sur la corde se renversa et la chute du pilote, sans parachute, fut brutale. J’atterris sur un baril de boulons renversés. Je m’en suis sorti avec des prunes et des bleus et le vertige des hauteurs m’a suivi une bonne partie de mon adolescence.
Autres faits cocasses: pendant l’absence de notre mère, Jean-Marie et Jean-Guy qui avaient beaucoup d’imagination décidèrent d’utiliser le grand râteau qui servait à ramasser le foin dans les champs comme véhicule tout terrain. Le seul hic dans cette histoire, c’est qu’il manquait un conducteur. Le sort tomba encore sur moi. Assis sur le siège instable et surélevé du râteau, me tenant par les rebords, la chevauchée du Far West débuta. Au début, la promenade s’annonçait pas trop difficile, jusqu’à ce que mes montures prennent le mors aux dents et décident de dévaler une pente suivie d’un petit fossé près de la maison. C’est alors que le râteau s’emballa et se cabra avec plusieurs petits soubresauts. Je fus projeté dans les airs et j’atterris sous le râteau qui, tiré par les efforts soutenus de mes deux frères, me passa sur le corps. Je m’en tirai avec le souffle coupé, quelques contusions et une belle barre rouge sur le ventre. À la suite de leurs supplications, je promis de ne rien dire à maman.
À l’école au primaire, j’étais sage comme une image. Au début du secondaire, les choses se sont un peu gâtées. Assis à mon pupitre, alors que je ne dérangeais personne, manipulant à l’abri des regards une bricole quelconque le frère qui m’enseignait voulut me la confisquer. Alors, je me levai, empoignai le petit frère d’à peine cinq pieds, par les coudes, je le soulevai et l’assis sur le bureau d’en face en lui disant «wo le flo». Mon expulsion de la classe et de l’école fut immédiate. Les conditions pour mon retour en classe furent des excuses à mon professeur et une lettre de mes parents. Étant trop orgueilleux et ne voulant pas le dire à ma mère, je simulai un aller-retour à l’école, comme si rien ne s’était passé. En réalité, j’allais au gymnase le matin, je revenais dîner le midi et retournais au gymnase l’après-midi jusqu’à la fin des classes. Ce petit manège dura un mois ou deux. Mes copains de classe m’apportaient chaque soir ce que je devais étudier et je faisais mon apprentissage par moi-même. Un soir, à mon retour à la maison, le professeur avait appelé ma mère, lui racontant ce qui était arrivé et demandant si je retournais ou abandonnais l’école. Je fus reçu avec une brique et un fanal et ma mère m’emmena le soir même rencontrer le professeur pour une bonne discussion. Il fut entendu que je retournerais à l’école le lendemain matin et ferais des excuses au petit frère devant toute la classe. Le lendemain, je retournai en classe. Le frère, l’air triomphant, expliqua à mes compagnons que j’avais une déclaration à faire devant la classe. La gêne et l’orgueil aidant, je balbutiai que je n’avais rien à dire. Le frère me fit sortir et m’accompagna à l’extérieur de la classe. Il me dit que si je ne respectais pas l’entente conclue je serais expulsé de l’école à nouveau. Je lui fis comprendre que jamais je ne m’excuserais devant toute la classe et que j’étais prêt, à m’excuser seul devant lui. Après m’avoir sermonné et fait quelques remontrances, il acquiesça. Alors, je m’excusai d’avoir été brutal et impoli et l’histoire se termina de cette façon.
Nous étions une très grande famille. À ma naissance, j’avais déjà perdu une sœur, Irène, (onze ans) et un frère Osias-Jean-Marie (sept ans). Ensuite, j’ai perdu ma sœur Huguette, suivie de Lucette quelques années plus tard. Ma mère que j’adorais, à qui je dois tant, nous a quittés en 1979; nous demeurions à Saint-Jérôme à cette époque. Dominic, notre fils le plus vieux, avait cinq ans et Jonathan trois ans. En 2008 est décédé mon frère aîné Marcel, suivi de Bertrand peu de temps après. Étonnamment, chaque fois qu’un membre de la famille part, j’ai l’impression qu’une partie de moi s’en va. C’est comme si chacun de nous faisions partie intégrante d’une roue d’engrenage. Chaque fois qu’un frère ou une sœur meurt, une dent de cette roue se brise à jamais.
Abordons maintenant les relations entre mes frères et sœurs. Dans ma jeunesse, les rapports entre frères et sœurs étaient plutôt définis par le fossé des générations. Les plus vieux formaient un clan à part. Lorsque je suis né, Marcel, Bertrand, Jeanine, Huguette et Lucette étaient déjà adultes et la plupart d’entre eux travaillaient déjà à l’extérieur de la maison. Les plus jeunes, Colette, Jean-Guy, Madeleine, Jean-Marie, Lise, Denise, Michel et moi étions encore à l’école. Donc nous étions plus proches et nos rapports étaient grandement différents des frères et sœurs plus âgés, avec qui le rapprochement s’est fait plus tard à l’âge adulte. Je débute avec Jean-Marie, nous étions presque du même âge, très unis, les bons et mauvais coups nous les avons faits ensemble. Jean-Marie était le chevalier sans peur et sans reproche. Rien ne pouvait le déstabiliser, il fonçait et il passait. Jean-Guy, c’était le chanceux, l’érudit, l’athlète, nous l’envions tous, c’était l’exemple à suivre. Lise et Denise, mes sœurs jumelles, étaient pour moi des modèles; j’enviais tellement leur grande détermination, leur ténacité, leur stabilité et leur calme. Denise était réservée, posée avec un caractère vif et combatif. Quant à Lise elle était sociable et d’approche plus facile. Michel, le benjamin sage et réfléchi, devait regarder toute cette gang de frères et sœurs et se gratter la tête, il avait des exemples à profusion. Mado était la sœur au grand cœur. Lorsqu’on allait voir Mado en appartement, on était reçus comme des princes. Elle aurait pu nous donner la lune si elle avait pu. Colette, c’était la fonceuse, celle qui défonçait les portes et contrôlait sa destinée. Quant à mes frères et sœurs plus âgés, je vais essayer de décrire en quelques mots leurs principales valeurs et qualités découvertes en les côtoyant durant toutes ces années. Commençons par Marcel – intelligent, moraliste, persévérant. Bertrand – vaillant, ingénieux, grand cœur. Jeanine – la mamamia, le modèle à suivre, l’aventureuse. Huguette – débrouillarde, volontaire, vaillante. Lucette – déterminée, travailleuse, chaleureuse. Mes frères et sœurs ont tous eu une influence déterminante sur ma façon de voir le monde et surtout d’affronter la vie.
Revenons à mon histoire de jeunesse. Mon secondaire terminé, les débouchés et les ressources étant rares dans mon petit patelin, je décidai d’aller chercher une formation professionnelle dans l’Aviation royale du Canada. La formation débuta à Saint-Jean-d’Iberville par une initiation à la vie militaire de concert avec un cours d’anglais de neuf mois. Une fois cette initiation complétée, je fus transféré à Clinton, Ontario pour suivre un cours intensif d’électronique de base suivi d’une formation spécialisée en radar appelé «Nav-Aids». Cette formation permettait de faire l’entretien et la réparation de radars et autres appareils servant à guider les avions militaires de façon sécuritaire au décollage et à l’atterrissage. Apprenant, qu’une fois cette formation terminée, je serais affecté dans une base militaire au Manitoba, je décidai de quitter les Forces armées.
Suite à mon départ de l’aviation, je fis plusieurs applications pour un emploi à Montréal. Attendant une réponse affirmative, j’ai travaillé quelques mois chez Payette Radio sur la rue Saint-Jacques à Montréal et plus tard, durant la période d’été, commis pour Hydro Québec à Baie-Comeau. Voyant que l’attente se prolongeait pour un emploi dans mon domaine, j’acceptai de m’inscrire à une formation en réfrigération au Cap-de-la-Madeleine.
Dès mon arrivée à Cap-de-la-Madeleine, je dénichai un appartement sur la rue Loranger tout près de l’école où allait débuter ma technique. Deux confrères de classe originaires du Lac Saint-Jean partageaient avec moi l’appartement. Après quelques semaines d’acclimatation, nous étions à l’appartement, relaxant et sirotant quelques bières, lorsque l’on sonna à la porte. Un confrère de classe, Gilles, accompagné d’une très jolie brunette, venait nous rentre visite. Gilles nous présenta Yolande comme étant son amie, rencontrée quelques jours auparavant sur la rue des Forges. J’étais assis un peu en retrait et je grattais négligemment une guitare, je ne pouvais m’empêcher de fixer cette jolie fille aux cheveux longs et au visage angélique. Elle s’approcha et m’adressa la parole, me demandant si je savais jouer de la guitare. Je ne me souviens plus de ma réponse, j’ai dû répondre que je débutais tout en étant hypnotisé par ses yeux enjôleurs.
Quelques jours plus tard, Gilles me demanda de l’accompagner chez son oncle pour récupérer un livre oublié. En fait, c’était un prétexte; Yolande, qui était en réalité sa cousine, voulait que Gilles m’avoue la vérité afin que l’on puisse se connaître mieux. Je présume que lors de sa visite à l’appartement, elle fut éblouie soit par ma dextérité à jouer de la guitare ou par la couleur de mes yeux, je ne saurais le dire. De toute façon, Gilles m’avoua l’astuce. Sachant que l’on était trois gars en appartement, Yolande et Gilles avaient convenu qu’elle serait présentée comme son amie et non comme sa cousine afin qu’elle ne soit pas achalée outre mesure. En apprenant la vérité, j’étais fou de joie. Le surlendemain, je téléphonai à Yolande pour fixer un rendez-vous.
Après des fréquentations de quelques mois, c’était le coup de foudre et il était déjà question de mariage. Marguerite, la mère de Yolande, m’avait suggéré d’attendre quelque temps avant de m’engager, afin que Yolande devienne plus sérieuse. Je ne suivis pas son conseil, étant incapable d’attendre aussi longtemps; donc je pris un risque calculé et nous nous sommes mariés à la date prévue. J’ai eu parfaitement raison de prendre cette décision, après 40 ans de mariage, Yolande est finalement devenue pas mal plus sérieuse… Notre union fut célébrée à l’église Saint-Odilon du Cap-de-la-Madeleine le 11 octobre 1969. Depuis, je suis comblé, Yolande et moi filons le parfait bonheur. Nous avons trois beaux enfants et bientôt six petits-enfants. J’ai assisté à la naissance de chacun d’eux.
Dominic
Dominic est né à l’hôpital de Saint-Jérôme le 12 février 1973, un lundi, à 3 h 58 et pesait 7,4 lb. Yolande et moi avions suivi un cours préparatoire à l’accouchement. Pendant ce cours, je me suis entraîné à faire des respirations rapides pour encourager Yolande à m’imiter lors de ses contractions. Ce que je ne savais pas, c’est que faire des respirations rapides sur une longue période provoquait l’hyper-ventilation. J’y mis tout mon cœur dès le début et à chaque contraction, je pompais comme un coureur de fond de 100 mètres. Graduellement le visage me pâlit et la sueur me perlait sur le front. L’infirmière en me regardant ne savait plus à qui elle devait prodiguer des soins, à Yolande ou à moi. En titubant, étourdi, me tenant après les murs, je réussis tant bien que mal à me glisser dans le passage de l’hôpital. En faisant les 100 pas dans le couloir, je repris rapidement des forces. N’écoutant que mon courage, je fonçai à nouveau dans la salle d’accouchement. Cette fois, je mis moins d’ardeur dans mes respirations et finalement Dominic est arrivé. Nous étions fous de joie; notre premier poupon était né. L’infirmière réussit, non sans peine, à nous l’arracher des bras pour l’apporter à la pouponnière. Trente-sept années plus tard, Dominic s’est marié le 7 août 1993. Sa compagne est Julie Simard et ils ont deux enfants: Marc-Antoine, né le 11 février 1999, et Laurence, née le 7 mai 2003.
Jonathan
Pour Jonathan, notre second fils, ce fut moins compliqué, mais tout aussi exaltant. Yolande et moi avions plus d’expérience. Si je me rappelle bien mes respirations furent moins soutenues et plus espacées. La maman a été à la hauteur du début à la fin et l’accouchement s’est bien déroulé. Jonathan est né à l’hôpital de Saint-Jérôme le jeudi 19 juin 1975 à 5 h 40, il pesait 8,15 lb. C’était tout un émerveillement de tenir ce nouveau petit poupon dans nos bras. Nous étions très fiers et avions bien hâte de le présenter à Dominic qui avait deux ans à l’époque. Jonathan et sa compagne Isabelle Landry se sont mariés le 11 août 2001. Ils ont deux enfants: Jérémie né le 2 juin 2004 et Rosalie, née le 28 juin 2007.
Marie-Claude
Marie-Claude, notre fille, est née à Rivière-du-Loup, le jeudi 18 décembre 1980, à 6 h 50, elle pesait 9,13 lb. La décision d’avoir un troisième enfant restait hypothétique. Je savais que Yolande voulait avoir une fille, mais les chances d’avoir une fille au lieu d’un garçon étaient de 50/50. Notre décision n’étant pas prise, j’étais très indécis. Lors d’une conversation avec ma belle-sœur Ginette, je lui mentionnais mon indécision face à un nouvel enfant, elle m’apporta un argument de poids, qui m’aida à prendre une décision positive. Ginette me fit prendre conscience que si Yolande désirait une fille et que nous ne tentions pas notre chance, elle regretterait sûrement plus tard cette indécision. Alors une fois la décision prise, Yolande et moi, nous sommes mis énergiquement à l’ouvrage et neuf mois plus tard, surprise Marie-Claude est arrivée. Nous demeurions à l’époque à Saint-Antonin, un village à quelques kilomètres de Rivière-du-Loup.
L’hiver à cet endroit est particulièrement froid et rigoureux. J’étais convaincu que Yolande attendait une fille. Voici la raison qui m’amenait à croire à cette possibilité; chaque fois que je m’assoyais devant le téléviseur pour regarder un match de hockey, Yolande commençait à ressentir plusieurs contractions. Je devais donc sortir à l’extérieur, réchauffer l’auto et conduire Yolande à l’hôpital de Rivière-du-Loup, en sautant par-dessus des bancs de neige et en bravant un froid sibérien. Ces fausses alertes sont arrivées deux fois. Chaque fois durant un match de hockey. Alors, faites l’équation match de hockey égale contraction, deux fois de suite, facile de sauter aux conclusions, c’était une certitude, Yolande attendait une fille. La suite m’a donné raison. Yolande et moi étions au septième ciel, Marie-Claude était là dans nos bras et notre fille venait se joindre au noyau familial tissé serré et nous avions notre fille tant désirée. La petite dernière Marie-Claude demeure avec son conjoint Marc Rousseau depuis six ans. Ils ont présentement quatre enfants dont Michaël né de leur union le 27 avril 2006, Benjamin né le 16 novembre 2010; s’ajoutent à la petite famille, Stéphanie et Alex, nés d’une union précédente de Marc.
Pour faire vivre toute cette marmaille, il a fallu que j’aille chercher du blé quelque part. C’est dans le champ de Bell Canada que j’ai pris mon blé pendant 34 ans. Il y a eu deux années où la récolte fut moins abondante. Deux conflits syndicaux opposèrent la compagnie à ses employés. Le premier, en 1979, dura cinq semaines et le second, en 1988, dura quatre mois. J’ai connu les lignes de piquetage et les chants de ralliement «so so so solidarité». Durant ma carrière chez Bell, j’ai participé activement à la vie syndicale. Au début, j’ai été secrétaire de section locale et, par la suite, j’ai œuvré comme délégué syndical de centrale téléphonique. Comme dit le slogan «La vie est Bell à Bell». Mon travail chez Bell consistait à entretenir le réseau longue distance, c’est-à-dire les liaisons pour lesquelles il faut signaler 1 sur votre téléphone. La technologie a beaucoup évolué depuis mon début chez Bell. Lorsque j’ai commencé, l’équipement fonctionnait à lampes, plus tard ce fut les transistors ensuite les circuits intégrés. La liaison entre chaque ville se faisait par porteur d’onde analogique, la fibre optique est apparue une dizaine années avant mon départ. La conversion de l’analogique au numérique fut un point tournant dans l’évolution des communications. Au tout début, le fonctionnement des centraux téléphoniques se faisait d’une façon électromécanique. Par la suite la relève fut prise par de puissants ordinateurs prenant des centaines de décisions et acheminant des millions d’appels. Ces ordinateurs combinés avec les lasers et la fibre optique ont révolutionné les télécommunications. Pour suivre ces évolutions rapides de la technologie, j’ai suivi une multitude de formations techniques. J’ai beaucoup apprécié mon passage à Bell, aimant la technologie, les sciences et les nouvelles inventions, je fus comblé avec tout cet éventail de percées technologiques survenues dans le cheminement de ma carrière.
Mon autoportrait
Mes valeurs
Vivre et laisser vivre, tel est ma devise. Je suis tolérant et accepte facilement les façons de vivre différentes des gens qui m’entourent. L’équilibre en toute chose est un critère très important pour moi. La famille, les gens que j’aime et les amis sont une partie centrale de mon univers.
Mes ambitions
Rendre les gens qui m’entourent les plus heureux possible. J’aimerais quitter ce monde en me disant: j’ai réalisé mes rêves les plus fous, j’ai bâti et accompli ce que j’avais projeté et aidé dans la mesure de mes moyens ma famille, mes amis et les personnes que j’ai croisées qui avaient vraiment besoin de moi. Yolande et moi espérons vivre une retraite sereine et heureuse dans notre maison de Trois-Rivières, tout en côtoyant et chérissant nos enfants et nos petits-enfants et si la santé et les sous le permettent, continuer à voyager…
Mes devises
La vie, c’est comme aller en bicyclette, pour maintenir son équilibre il faut toujours avancer (Albert Einstein)
Ne jamais oublier que la plus grosse intention ne vaut jamais la plus petite des actions. (Auteur inconnu)
Mes loisirs
Pendant plusieurs années, mes sports se résumaient presque exclusivement à faire la navette pour les enfants entre le soccer l’été et le hockey l’hiver. Après quelques années de ce régime, j’avais des fourmis dans les jambes. Voici quelques sports et activités à mon actif, depuis que j’ai arrêté de faire le taxi pour mes jeunes.
Ascension de montagne: Acropole des draveurs (3 200 pieds), Mt Washington N.H. (6 288 pieds), Mt Lafayette (5 249 pieds), Mt Kathadin Maine (5 268 pieds)
Longues randonnées: Tadoussac (3 jours), traversée de Charlevoix (6 jours), Vancouver, West Coast Trail (7 jours), Grand Canyon, Arizona (1 journée).
Excursions de ski de fond: Lac des cygnes, Réserve Portneuf, Gaspésie, Chic-Chocs (Mt Logan et Mines Madeleine)
Autres loisirs: bicyclette, tennis, badminton, jardinage, lecture, voyage, rénovation.
Ainsi se termine la première bobine du film de ma vie. Il reste une longueur indéterminée sur la deuxième bobine. J’espère que mes descendants continueront le travail que Jean-Guy a si brillamment amorcé afin que les générations futures puissent connaître l’épopée des Fillion d’Amérique.
Yvon

Lise

Une infime partie de mon histoire
J’ai quatre ans, je suis assise sur le plancher, je regarde maman faire son pain. Elle a de la farine sur le bout du nez. Elle pétrit la pâte qui dans quelques heures sera devenue de bons et moelleux «pains fesses». Quelle senteur enivrante dans la maison! L’arôme se répand dans toutes les pièces… Bientôt l’heure de la collation, nous aurons droit à une bonne tranche de pain chaud, tartinée de beurre. Quel délice!
Durant l’hiver, n’ayant pas de vêtements assez chauds pour jouer dehors, je passais des heures, assise près de la table, à regarder par la fenêtre tomber de gros flocons de neige. Ils voltigeaient comme de gros papillons avant de se déposer en douceur et en silence sur le sol. Je trouvais cela féerique! Il m’est arrivé, quelquefois, avec mes frères pendant le temps des Fêtes, de m’aventurer dans la forêt à la recherche d’un sapin vert qui, lorsque décoré, trônerait royalement dans le salon réservé à la visite (plutôt rare dû à l’éloignement à cette époque). Quelle effervescence dans la maison! On assistait aux préparatifs de cette fête tant attendue. Ça sentait les pâtés à la viande, la tourtière du Lac Saint-Jean, le cipaille, les desserts… Nous étions tous excités à l’idée de voir arriver le Père Noël avec sa hotte sur le dos, la nuit de Noël… Chacun de nous avait accroché son bas, un peu partout dans la maison, espérant y retrouver, le 24 décembre au soir, des cadeaux, des surprises… une orange, une pomme, un bonbon, une paire de bas fraîchement tricotée, des mitaines, nous étions comblés… Pour moi, ce joyeux temps, fait d’attentes, de fébrilité, de rencontres, de visites me remplissait de joie. Ce fut et restera la plus belle fête de l’année.
Ce que j’aime me rappeler, aussi, ce sont les bruits familiers entendus à chaque jour: le chant du coq, à cinq heures du matin, le tintement de la cloche au cou de la vache, le caquetage des poules dans la basse-cour, le chant des oiseaux, surtout les corneilles avec leurs cris stridents et perçants. Le carillon du clocher de l’Église, au loin, qui annonçait l’Angélus, les vêpres, les funérailles, la grand-messe, les baptêmes… Aujourd’hui, lorsque je les entends, s’éveillent en moi de doux souvenirs.
Nous avions de grands espaces à parcourir, le plus souvent pieds nus. Nous nous sentions libres, libres de la liberté des enfants de Dieu. La nature sauvage était belle avec ses arbres, ses fleurs des champs, ses collines et montagnes. Il y faisait bon vivre!
Je revois encore maman avec son tablier autour de la taille, parcourant l’étendue de son jardin, à la recherche de quelques fraises, carottes, fèves, radis… Elle revenait à la maison le tablier plein de sa récolte. Avec peu, elle s’ingéniait à nous faire des repas dignes de grands restaurants.
Que dire de son pâté au saumon, ses cigares au chou, son pâté chinois, ses rôtis de bœuf ou porc, qu’elle cuisinait le samedi soir pendant que les gars regardaient leur match de hockey et qui nous étaient servis le dimanche midi, après la grand-messe. Elle faisait son pain, son beurre, ses viandes en conserve, ses confitures, ses marinades ou autres. Elle était la première levée, souvent la dernière au lit. Le matin, elle allumait son poêle afin de réchauffer la maison, l’hiver. Avant de nous réveiller, elle préparait le déjeuner. Ça sentait le gruau, le café, les rôties, dans toute la maisonnée. Elle prenait plaisir à nous servir, toujours avec son tablier à la taille. Quel bonheur! Lorsque j’entends ce chant à l’Église, cela me rappelle ces merveilleux souvenirs…
Comme Lui, savoir dresser la table
Comme Lui, nouer le tablier
Se lever chaque jour
Et servir par amour
Comme Lui.
Je la revois encore filer la laine, tricoter des bas, des mitaines, broder des taies d’oreillers, des linges à vaisselle, des nappes, coudre des vêtements dans de vieux pantalons et soutanes donnés par le curé de la paroisse et membres de la famille. À l’école, nous étions cités en exemple pour notre propreté et notre habillement. Je la revois aussi, le lundi, jour du lavage, s’agenouiller devant sa cuve et sa planche à laver, frotter pendant une bonne partie de la journée chacun de nos vêtements. Que dire du séchage, l’hiver… Lorsqu’elle étendait le linge sur la corde extérieure par des froids sibériens, et qu’elle revenait parfois les doigts gelés et parfois ensanglantés. Je ne l’entendais jamais se plaindre… La maison reluisait de propreté. Elle lavait et cirait les planchers à genoux. Le grand ménage se faisait à chaque printemps. Elle n’y manquait pas. Je la remercie de nous avoir inculqué ces deux grandes qualités: l’ordre et la propreté.
Ce que j’admirais le plus chez elle, c’était sa grande foi. Combien de fois l’ai-je vue, le soir et le matin, à genoux près de son lit, en pyjama, faire sa prière! La messe du dimanche était aussi très importante pour elle. Je crois qu’elle n’en a jamais manqué une… Quand arrivait le temps du carême, elle nous amenait, Denise et moi, à pied, à la brunante, à la messe. À l’église, elle s’asseyait entre nous deux. Nous nous sentions bien, en sécurité et heureuses d’être avec elle. Nous l’aurions suivie jusqu’au bout du monde… Elle croyait à la Providence. Combien de fois, à bout de ressources, sans un sou pour acheter de la nourriture, n’a-t-elle pas trouvé un vingt dollars oublié au fond de son sac à main ou ne lui est-il pas arrivé un montant d’argent inattendu et inespéré au moment propice? Elle se plaisait à dire que Dieu, notre Père du ciel, était avec nous, qu’Il ne nous abandonnerait jamais. J’ai bien appris la leçon, car je vis les mêmes expériences dans ma vie de tous les jours et je me réfère à la Providence. Elle avait une grande dévotion envers Marie, notre Mère du ciel. Elle prétendait qu’elle était trop humble pour s’adresser directement à Dieu… Quelques années après son décès, j’ai reçu miraculeusement son chapelet par la poste. Je le garde soigneusement et m’en sers régulièrement en pensant et priant pour elle.
Elle était juste avec chacun de ses enfants, surtout avec ses jumelles. Jamais, entre Denise et moi, elle n’a fait de favoritisme. Quand elle donnait ou achetait quelque chose à l’une, elle le faisait pour l’autre. Elle avait un bon jugement, une belle sagesse, elle était de bon conseil. C’était une maman exemplaire à tout point de vue. Elle a vécu pour ses enfants. Tout le monde l’aimait.
Quelques années avant son décès, je lui ai demandé si elle était satisfaite de tout ce qu’elle avait réalisé dans sa vie. Elle m’a répondu spontanément: «Je suis heureuse de tout ce que j’ai vécu et, si c’était à refaire, je le referais encore avec plaisir. Mes enfants sont tout pour moi!» Chère bonne et merveilleuse maman! Comme tu nous manques!
Avec un recul, je repense à sa vie et j’admire son courage, sa force, son abnégation, sa détermination, son sens de l’humour, sa grande simplicité. Je lui dois beaucoup…
Je me dois de parler de ma sœur Jeanine, qui fut une deuxième mère pour moi. Elle avait treize ans lors de ma naissance et elle fut chargée de s’occuper de moi. Elle le fit consciencieusement et avec beaucoup d’amour. Des liens très forts se sont tissés entre elle et moi, au fil des ans. À vingt-deux ans, je fus atteinte d’un cancer. Je me croyais atteinte d’une maladie bénigne. Jeanine m’a obligée à consulter un médecin. Heureusement qu’il n’était pas trop tard. Elle m’a certainement sauvé la vie. Je n’ai pour elle que la plus grande reconnaissance.
Il y a aussi ma précieuse et unique jumelle, Denise qui fut un ange dans ma vie. Combien de fois m’a-t-elle défendue, protégée, aidée, soutenue, réconfortée, encouragée! Que serais-je devenue sans elle? Elle me connaît plus que je ne me connais moi-même! Je lui dois beaucoup. Je lui suis très reconnaissante.
Que dire de Madeleine? Elle a aussi joué un grand rôle dans ma vie. Elle fut la grande sœur idéale: celle qui s’intéressait à nous deux, Denise et moi. Nous avons souvent joué ensemble. Nous avons vécu notre adolescence et le début de l’âge adulte avec elle. Elle a su nous ouvrir la porte de son cœur en tout temps. Que ce soit à Baie-Comeau, Québec ou Montréal. Il y avait toujours de la place pour nous et elle était toujours heureuse de nous accueillir. Merci, Madeleine, je n’oublierai jamais…
Maman avait commencé, quelques années avant mon départ de la maison, à prendre des pensionnaires comme source de revenus. Il y a eu Daliétis Hervieux, une jeune amérindienne âgée de treize ans, qui est demeurée avec nous quelques années. Ensuite, ce fut Valmont, un jeune homme d’une trentaine d’années, qui travaillait pour le magasin La Baie. Il a vécu plus d’un an avec nous. Ensuite, ce fut le tour d’un garde-chasse, nommé Marcel, qui lui aussi fut un certain temps avec nous. Elle recevait aussi, pour le repas du midi, une jeune femme de Rivière Portneuf, secrétaire à la sûreté provinciale dont les bureaux étaient non loin de chez nous. Maman ne manquait pas d’idées, elle savait se débrouiller…
Pendant ce temps, je travaillais à la Banque Canadienne Nationale. J’y suis restée trois ans. Le goût de partir pour la ville me prit. J’en parlai à maman. Elle me regarda dans les yeux pour me dire: «Va ma fille, tu es jeune, tu as ta vie à bâtir, moi la mienne est avancée, je désire que tu sois heureuse et que tu suives ta voie. Tu es libre, pars et ne t’inquiètes pas pour moi.» Je la remercie de tant d’ouverture et de compréhension, car après mon départ, elle restait seule à la maison, tous les enfants étaient déjà partis travailler à l’extérieur. Elle se sentait capable à nouveau de relever ce défi. Et six mois plus tard est arrivé son prince charmant. Elle avait 67 ans… Je vous raconte cette fabuleuse histoire.
Un jour, après cinquante ans d’absence l’un de l’autre, est arrivé par le fleuve, un traversier venant de Matane ayant à son bord un homme de soixante-dix ans du nom d’Albert Bélanger. Maman ne l’attendait pas du tout. Mais pas du tout! Elle l’avait connu à l’âge de dix-sept ans. Elle l’avait fréquenté quelques mois à peine avant de rencontrer son homme, mon père, Eugène. Il avait donc fait sa vie. Il s’était marié et avait eu quatre enfants. Sa femme était décédée depuis quelques années. Une idée lui trottait dans la tête depuis ce temps, épouser ma mère. Il n’a pas hésité à se jeter à l’eau... La grande demande fut faite et, après beaucoup de peurs et d’hésitations, elle finit par dire oui à cette grande aventure du mariage. Elle ne l’a pas regretté! Pendant huit ans, elle fut très heureuse avec lui. La seule chose qu’elle ait regrettée fut de perdre sa liberté… mais elle a gagné beaucoup sur d’autres points. Elle a voyagé en Floride, Ottawa au temps des fleurs, Montréal, Lac Saint-Jean, etc. Elle a de plus gagné un merveilleux compagnon de vie qui l’a chérie, respectée pendant toutes ces années. De plus, il était un merveilleux jardinier… il a su aménager son terrain, derrière la maison de Forestville, en un jardin botanique digne des jardins de Métis.
Par la suite, je suis partie pour Rimouski, où j’ai travaillé pour la même banque pendant un an. Ce fut une période transitoire, avant de m’aventurer dans la grande ville de Québec où Madeleine était déjà installée. J’ai aussi travaillé, là, pour deux autres succursales bancaires pendant neuf ans. Je m’y ennuyais à mourir. L’idée m’est alors venue d’ouvrir un petit commerce dans le tissu. Par un concours de circonstances, j’ai donc décidé d’ouvrir ma boutique à L’Ancienne-Lorette. Je l’ai opérée pendant sept ans. Les affaires étaient prospères, mais je m’épuisais à la tâche… Heureusement que ma Denise était là pour m’épauler. Je lui dois beaucoup. J’ai dû vendre pour cause d’épuisement. Trop gros défi pour mes petites épaules… Ce fut quand même une très belle expérience où j’ai pu découvrir mes forces et mes faiblesses…
Grâce à Dieu, je me suis retrouvée travaillant comme préposée aux bénéficiaires auprès de personnes âgées, au Centre Hospitalier de l’Université Laval. J’y suis restée pendant treize ans, à mi-temps. Encore là, ce fut une expérience marquante. J’ai pris plaisir à m’occuper de ces personnes âgées qui me donnaient le sentiment d’être utile. J’ai quitté cet emploi pour devenir famille d’accueil, avec l’homme merveilleux que j’ai épousé à l’âge de quarante-huit ans. Il n’y a donc pas de causes désespérées… Je l’attendais et le cherchais depuis l’âge de dix-huit ans… trente ans plus tard. Nous avons accueilli dix-huit enfants, à court et long terme, sur une période de dix ans. Ils m’ont beaucoup appris… j’ai appris à me connaître et à connaître l’homme énigmatique que j’avais épousé… Je nous croyais parfaits, hélas, ce n’était pas le cas. Ce fut une surprenante découverte et merveilleuse expérience, des plus enrichissantes à tous les points de vue. Je les en remercie beaucoup. Ils furent des rayons de soleil pour nous!
Depuis juin 2003, nous sommes installés à Rivière-du-Loup. Virginie, notre petite dernière, a accepté de nous suivre dans cette aventure. Nous l’accompagnons déjà depuis sept ans. Elle est un beau cadeau dans notre vie! Nous la considérons comme notre fille. Elle nous apporte beaucoup de joie et de bonheur. Combien de temps serons-nous à Rivière-du-Loup? Que nous réserve l’avenir? Dieu seul le sait… Comme notre père Abraham, dans la foi, nous nous abandonnons à sa volonté et lui faisons entièrement confiance. Il a toujours su nous guider et nous mener à bon port…
Avec un certain recul, quand je regarde ma vie, je peux dire que le chemin fut long et pénible. Je suis quand même heureuse de ce que j’ai réalisé. J’aurais aimé me marier jeune et avoir des enfants, mais il en fut autrement. La vie a su combler mes désirs d’une autre façon à travers mes personnes âgées et enfants de famille d’accueil. Je l’en remercie… Les vraies valeurs reçues de mes parents me font vivre et donnent du sens à ma vie. Je leur dois beaucoup et leur en suis reconnaissante. Mes frères et sœurs sont très importants pour moi. Aujourd’hui je les découvre avec un regard tout neuf et je les apprécie de plus en plus. Je suis fière d’être une Fillion. Famille de gens courageux, intègres, sensibles, humains, authentiques et vrais.
Chacun de nous partira… Nous nous retrouverons certainement tous unis dans l’au-delà, autour d’une table, à un banquet dont les mets d’amour auront peut-être été préparés par maman!
La vie est un long pèlerinage! Nous venons de Dieu et retournons à Lui. Entre temps, nous nous devons de Le connaître, L’aimer, Le choisir, Le suivre et Le faire connaître. Nous nous devons aussi de nous aimer les uns les autres comme Il nous a aimés. Nous avons tous une mission en ce bas monde. Puissions-nous, chacune et chacun de nous, nous connaître suffisamment afin de découvrir ce à quoi nous sommes appelés…
Voilà le but ultime de la Vie et du bonheur.
Bonne route!
Lise


Denise

Je suis Denise, la quatorzième de la grande famille Fillion. Heureux hasard, Lise, la treizième, ma sœur, mon Ange, a fait le voyage avec moi. Ce fut la belle aventure d’être jumelle; si petites et déjà en couple…
J’ai le souvenir d’une enfance heureuse, insouciante et libre avec, en toile de fond, mes sœurs Lise et Madeleine, mes amies et complices de jeux et de vie. Quels beaux moments nous avons vécus ensemble.
Petite, je me rappelle qu’à la maison, il y avait du monde partout, tout le temps; et à travers tout cela, il y avait maman qui travaillait sans relâche du matin au soir, qui ne baissait jamais les bras devant cette montagne de responsabilités. Quel bel exemple pour moi, de dévouement, de courage, de don de soi, de fierté et de dignité. Elle avait sûrement l’instinct de survie très développé.
Maman m’a transmis ses belles valeurs de justice, de respect de soi et des autres, de sagesse, d’ouverture de cœur et d’esprit, sa confiance en la vie et la satisfaction du travail bien fait. Quel bel héritage.
De l’école, je ne garde aucun souvenir précis ou marquant, à part, peut être, de n’avoir pas trop aimé toutes ces années.
Pour ce qui est du travail, les plus beaux moments qui remontent en moi, ce sont ceux d’amis, de patrons, de connaissances qui m’ont respectée, appréciée et aimée telle que j’étais. Et le plus heureux, dans tout cela, c’est pendant cette période que j’ai rencontré Normand, l’homme de ma vie.
J’ai fait plusieurs voyages enrichissants: Haïti, Vancouver, Europe et bien d’autres dont je garde d’heureux et d’inoubliables souvenirs.
Comme loisir, j’ai suivi quelques cours dont les plus stimulants furent, entre autres, l’équitation, le dessin et l’aquarelle. Je m’adonne aussi à la photo. Des heures de pur plaisir et de bonheur.
Aujourd’hui, à soixante-trois ans, à la retraite depuis huit ans, je considère mon parcours avec l’œil plus que bienveillant; j’ai toujours été fidèle à mes valeurs et convictions. Je suis autonome, débrouillarde, imaginative, créatrice. Je peux dire que ma confiance en moi et en la vie est à la hausse. J’aime la simplicité, l’ordinaire des jours et des choses, j’aime aussi la nature, la vie à la campagne où, avec mon complice de tous les jours, Normand, nous nous adonnons à la rénovation de notre petite maison, au jardinage, à la marche, aux rencontres d’amis, de voisins, d’enfants et de la famille. L’hiver, nous faisons de la raquette. Tout cela et encore plus fait partie de notre belle vie à tous les deux. Je me trouve bien chanceuse, surtout très heureuse et je remercie Dieu de m’avoir tant gâtée.
Comme quoi une vie toute simple peut être un atout pour le bonheur.
En conclusion, j’avais sûrement besoin de chacun et chacune d’entre vous pour être à mes yeux la belle personne que je suis devenue aujourd’hui. Je vous remercie. Nous avons fait ce que nous avons pu avec ce que nous avions et c’est bien correct comme cela.
Je tourne la page et je vais continuer à vivre mon moment présent, maintenant.
Je vous aime tous et vous souhaite longue et heureuse vie.
Votre Soeur
Denise
Michel

Mon histoire
Michel Fillion: né le 28 janvier 1949 à Sainte-Thérèse de Colombier.
Marié: le 30 juin 1973 à Ginette Fortin, née le 20 juin 1949 à Sainte-Anne-de-Portneuf et demeurant à La Malbaie. Enfants: Martin né le 11 octobre 1974 à La Malbaie, Sébastien, né le 12 mars 1977 à Québec, et Catherine, née le 19 janvier 1983 à Québec.
J’étais loin de penser qu’il était aussi difficile de se raconter, de rapporter à toutes les étapes de ma vie, les souvenirs, les anecdotes et les faits significatifs qui ont marqué mon histoire de vie. Je lève mon chapeau à mon grand frère Jean-Guy qui a réussi, en réalisant «Le temps d’une famille! Les Fillion», à le faire avec tellement de sensibilité et de justesse. Ce qui m’est demandé est beaucoup moins fastidieux, mais il n’en demeure pas moins que cela oblige à une réflexion et à un bilan.
Être le quinzième et dernier enfant d’une famille a eu pour moi beaucoup d’avantages. Un coup le choc passé d’un autre enfant qui s’annonçait, alors qu’il y en avait beaucoup d’autres en bas âge, j’ai reçu l’accueil, la chaleur, la disponibilité, le support et l’amour de mes parents et de tous mes frères et sœurs et cela ne s’est jamais démenti. Je fais souvent la farce de dire que mes parents voulaient m’appeler «Désiré», comme un de mes oncles du coté de mon père; ce qui est un non-sens aujourd’hui.
J’ai reçu énormément plus que certains enfants d’aujourd’hui qui, malgré qu’ils soient planifiés et nés dans une famille beaucoup moins nombreuse, sont rapidement écartés de leur noyau familial. J’ai donc été entouré, protégé, aimé. J’ai eu le bonheur de vivre en bénéficiant des leçons transmises par l’expérience et les bons conseils des plus vieux, dans une époque de l’histoire où l’évolution et les changements se sont opérés avec une force et une vitesse sans pareil. J’ai vécu l’époque des poêles à bois, unique moyen de chauffer et de cuire la nourriture, l’époque des lampes à l’huile comme unique moyen de s’éclairer, des toilettes extérieures, des snowmobiles et j’ai vécu une à une toutes les transformations qui ont mené à ce que nous appelons la modernité. C’est toute une épopée sur une période d’à peine 60 ans.
Voici quelques souvenirs et faits significatifs qui ont marqué ma vie. Je ne peux tous les mentionner et plusieurs frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, neveux et nièces pourraient en rajouter. Je me dois de dire que tous et toutes vous m’avez marqué et que c’est avec fierté que je considère que chacun de vous êtes un peu de moi-même et que vous avez grandement contribué à mon bonheur sur cette Terre.
Commençons par les souvenirs lointains jusqu’aux évènements les plus récents:
Maman qui cuisine et moi qui la suit partout dans la maison. La chaleur du poêle à bois, la senteur de la nourriture qui cuit et maman qui sourit et rit de mes niaiseries d’enfant.
Huguette, ma seconde mère, qui a souvent un cadeau pour moi lorsqu’elle rentre du travail. Si je dors lorsqu’elle arrive, souvent en soirée, il faut qu’elle me réveille pour me le remettre.
Mon père qui attèle son cheval pour se rendre au village et qui, lorsqu’il est de retour, accroche son manteau près de la porte d’entrée. Son plaisir et celui de ma mère, frères et sœurs, c’est de me voir traîner une chaise jusqu’à son manteau pour réussir avec prouesse à prendre les bonbons dans ses poches.
Mon père qui est malade, que je revois assis dans une chaise berçante, dans l’univers jusque-là occupé et dirigé presque entièrement par ma mère. Malgré sa grave maladie, j’apprécie sa présence. Quelques fois, je l’agace, je le chatouille dans le cou et je le vois me sourire avec peine et difficulté.
Denise et Lise qui étaient comme mon ombre, me protégeant dans tout, allant jusqu’à m’accompagner au pot pour mes besoins. Je les suivais dans leurs jeux et leurs expériences. Jusqu’à mon départ de la maison à Forestville, et souvent après, elles ont toujours été là avec bienveillance et une extrême générosité à veiller sur moi et pour soutenir et à protéger maman. J’avais deux anges pour veiller sur moi, que de patience elles ont eue.
Bertrand qui rentre du chantier après une absence prolongée et moi, assis derrière la table sur le banc, me cachant les yeux et le visage parce qu’impressionné et gêné.
Mon père à sa mort fut exposé dans la maison. Je me rappelle qu’il y avait beaucoup de personnes qui avaient envahi la maison. Ils étaient parfois tristes, parfois heureux de se revoir, ils étaient tous très gentils avec moi. Je revois la tombe de mon père quitter la maison, les gens qui pleurent et ma tante Lucienne qui me dit en se penchant vers moi «pauvre petit». Je suis alors comme dans un rêve et je vis ce moment avec beaucoup de naïveté. Je ne réalise pas encore l’impact sur l’avenir de notre famille.
Bruno Langlois, mon parrain, me donne un traîneau (luge) comme cadeau que je garderai très longtemps et que j’ai aimé tout autant que le tracteur à ressort donné par Marcel et la petite chaise berceuse d’enfant confectionnée par les Amérindiens de Betsiamite, donnée par René, l’amoureux de Jeanine.
Dans une boîte de pick-up, nous sommes entassés. C’est la première fois que je quitte Sainte-Thérèse. Un feu de forêt oblige à ce que nous nous réfugiions à l’école de Portneuf pour notre protection. À Forestville, le camion s’arrête pour se ravitailler en essence. En travers de la toile qui referme la boîte de camion, je vois les lumières des pompes à essence. Ce devait être la première fois que je voyais des lumières électriques.
Nous déménageons à Paul-Baie, pas très loin de Forestville. Je devais avoir cinq ans, je me rappelle avoir accompagné Jean-Guy à l’école de rang. J’étais très impressionné par l’institutrice et je me rappelle son visage austère. Fait significatif: Jean-Guy qui ne pouvait retenir une envie d’uriner avait dû s’exécuter dans la nature. Pour les filles, il devait y avoir un pot dissimulé dans l’école.
Jusqu’à ce que je sois en âge d’aller à l’école, je me rappelle d’une période paisible où souvent, seul avec maman, je prenais mes siestes de l’après-midi couché derrière le poêle à bois. Quel bonheur!
À cette époque, un camion servait de dépanneur mobile et venait à la maison une fois par semaine. C’était une découverte à chaque fois que de suivre ma mère entre les deux étagères aménagées dans la boîte du camion. Toute cette nourriture que je ne pouvais que regarder avec convoitise. Un jour, n’en pouvant plus, je m’aventurai à dérober un fruit qui m’apparaissait des plus succulents. Quel ne fut pas mon étonnement de découvrir que ce fruit avait un goût acide et des plus amers! J’avais volé un citron. Ma mère ne manqua pas, le sourire en coin, en me grondant, de me dire que le vol n’est pas bien et que le Bon Dieu avait voulu ainsi me punir.
Je me rappelle le plaisir que j’avais de bénéficier de grands espaces, qui me donnaient un sentiment de constante liberté. Jouer dans la grange, courir dans les champs, aller sur le cran, suivre quand c’était possible mes frères Jean-Guy, Jean-Marie et Yvon à la pêche au ruisseau et glisser l’hiver étaient autant d’activités que je préférais.
Dans la période de la vie à Paul-Baie, je garde également le souvenir des noces de Jeanine et celles d’Huguette qui ont eu lieu à la maison. Les partys des fêtes étaient aussi très animés, avec de belles décorations et des cadeaux qui devenaient plus élaborés d’année en année.
Mon deuxième voyage, cette fois en autobus, avec ma mère, fut pour visiter Colette, Madeleine, Jean-Marie et Yvon, en pensionnat à La Malbaie. Si ce voyage me parut très long sur des chemins gravelés et tortueux, j’étais toutefois très heureux de retrouver pour une brève période mes frères et sœurs que j’aimais beaucoup et que je considérais alors comme chanceux d’étudier ainsi dans une si grande école.
C’est à cette époque que j’ai débuté l’école. C’est Huguette qui avait choisi et acheté mon habillement ainsi qu’un sac d’école bien garni. J’étais bien chic et fier de me présenter ainsi à l’école. Les premières années d’école sont un peu loin dans ma tête, sauf que je me rappelle avoir apprécié être très bien entouré et protégé par mes frères et sœurs, ce qui m’apportait de la confiance. J’avais alors le don, pour me distinguer des plus grands, d’inventer certaines fables qui ne manquaient pas d’impressionner.
Huguette mariée, j’ai débuté mes séjours fréquents chez elle qui se sont déroulés sur plusieurs années. Huguette fut longtemps pour moi une mère suppléante, ma marraine, ma protectrice et Gonzague, mon grand frère et mon ami. Ils m’ont toujours accueilli avec patience, générosité et beaucoup d’amour. J’ai été très près de chacun de leurs enfants (Sylvie, Gilles, Denis et Alain) pour qui je garde une très grande affection. Cette période et son contexte expliquent sans doute le flou dans mes souvenirs, par rapport au vécu des autres membres de la famille restés auprès de ma mère.
Le déménagement à Forestville fut vécu comme un avancement important: quitter les grands espaces et avec tristesse notre chien Rex, compagnon de tous les jours, pour une maison sur la route 15 à Forestville, près de tous les services. J’y ai rapidement trouvé beaucoup d’avantages: pas d’autobus à prendre pour aller a l’école, venir dîner à la maison, être près de la patinoire, du gymnase où nous avions des activités encadrées, avoir de nouveaux amis et pouvoir me rendre chez Huguette et Gonzague, Marcel et Louise, Bertrand et Irma, à pied.
Ce déménagement a permis à Colette et à Madeleine de vivre avec nous à la maison. C’était l’époque où elles fréquentaient les garçons et j’ai été alors instruit des stratégies féminines pour attirer l’être convoité et je peux vous assurer que ça marchait. Je me suis souvent promené avec mes grandes sœurs, toutes en beauté, sur la rue principale à Forestville Nord, sans trop comprendre le but de ces marches qui permettaient parfois des rencontres intéressantes. «À quoi ça sert d’être belle si personne ne peut le constater?» Voici ce qu’elles devaient se dire.
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À chaque été, en juillet et août, c’était la période de la cueillette des bleuets. Nous nous rendions, ma mère et les enfants encore à la maison, en camion dans la forêt passer la journée à ramasser des bleuets. Également, j’ai souvent accompagné Lise et Denise au champ d’aviation, où nous nous rendions à pied pour cueillir ces fameux fruits. Cette activité a toujours été bénéfique à mes yeux et elle remplaçait, pour moi, les camps de vacances disponibles aujourd’hui pour les jeunes. J’en garde de merveilleux souvenirs.
À partir de l’âge de 13 ans, j’ai beaucoup suivi Marcel qui travaillait alors pour la compagnie pétrolière Fina et qui avait, parallèlement à cela, développé un petit commerce. Souvent, il m’employait pour la réception des marchandises et je l’accompagnais dans ses livraisons, des Escoumins à Baie-Comeau. Nous parlions beaucoup, j’exprimais mes rêves en devenir et je précisais mes pensées et mon jugement face à la vie. Je me sentais apprécié et encouragé face à mes projets d’avenir.
Je fus préoccupé rapidement par le désir de faire ma part afin de soutenir maman, grâce à de petits emplois (garder des enfants, commenter les messes, spotter (replacer) les quilles, placer les marchandises chez Marcel, etc..) qui permettaient à ma mère de disposer de quelques sous additionnels. La solidarité et le partage étaient nécessaires, plus encore dans une famille nombreuse. Ils ont toujours fait partie des valeurs très importantes transmises par nos parents.
À l’été de mes 13 ans, j’ai vécu mon premier voyage «outre fleuve», avec Yvon et Lise. En effet, nous avons été accueillis par Jeanine et René qui avaient à cette époque un hôtel-motel à Pointe-au-Père «Le Soleil Couchant». Ce fut pour moi l’occasion de prendre l’avion pour la première fois et de faire des travaux dans un contexte nouveau. J’ai beaucoup apprécié cet été près de ma grande sœur et sa famille.
J’ai très tôt senti le besoin de travailler et c’est à 14 ou 15 ans que j’ai débuté dans des emplois d’été de façon régulière. J’ai travaillé tour à tour comme exterminateur des arbustes qui poussaient sous les pylônes de transmission de l’électricité à Ragueneau, aide-boucher et draveur à l’Anglo Canadian and Pulp and Paper de Forestville, commis d’épicerie chez Steinberg à Baie-Comeau, expéditeur de manuels scolaires chez Fidès à Montréal, gérant barman sur un traversier «Le Manic» à Pointe-au-Père, homme à tout faire à L’Auberge du Roc de Baie-Comeau, gérant d’un terrain de camping à L’Ascension et commis à Manicouagan 3. Tous ces emplois m’ont permis d’expérimenter différents milieux de travail, de confronter la vraie vie et de me faire des sous pour continuer mes études et développer une plus grande confiance en moi. L’esprit qui m’animait alors était: «si quelqu’un d’autre que moi peut le faire, je le peux aussi».
Si, à travers les emplois d’été j’étais attiré par la nouveauté et le changement, il en fut de même pour les études. Je dois dire que j’ai eu un parcours parfois tortueux et que ça m’a pris un certain temps avant de me brancher définitivement. Voyons un peu ce que cela a donné:
Le primaire: à l’école Dominique Savio de Forestville
Le secondaire: à Forestville.
Onzième générale et scientifique. À Hauterive: CPES (cours préparatoire aux études supérieures).
Le cégep: à Longueuil: quelques crédits en sciences sociales. À Rimouski: quelques crédits en sciences de l’éducation et en psychologie et un cours complété en technique d’assistance sociale.
L’université: à l’université Laval de Québec: un bacc. en service social (en cours d’emploi).
La ferveur que maman mettait et sa croyance en l’instruction, le support de tous mes frères et sœurs, furent le moteur qui me poussait à poursuivre mes études sans trop de buts précis et beaucoup par opportunité. Par exemple, je me rappelle avec beaucoup de reconnaissance, l’aide apportée par Jean-Guy, qui après m’avoir servi d’exemple en étant le premier de la famille à dépasser le secondaire, m’offre avec générosité l’opportunité d’étudier à Longueuil et de vivre chez lui. Et que dire de Jeanine, aimante, compréhensive, positive et généreuse comme toujours qui, avec René et leurs enfants, sont devenus ma famille. Ils m’ont grandement aidé lorsque j’ai étudié à Rimouski. Un peu plus tard, c’est Denise et Madeleine qui m’ont soutenu et hébergé lorsque j’étais étudiant à Québec. Je ne voudrais pas non plus oublier Jean-Marie de qui j’étais très proche et qui m’a toujours appuyé et supporté dans cette étape importante de ma vie.
C’est pendant cette période de la jeune vingtaine que j’ai rencontré l’amour durable. Je me rappelle être dans l’autobus qui me mène à Manic 3 pour y travailler. La tête appuyée sur la vitre, je me demande ce que je trouverai au bout de ce chemin et ce que la vie me réserve. Eh bien! j’y ai trouvé Ginette qui m’avait déjà frappé par sa beauté et son intelligence en onzième année parce que nous étions dans la même classe. Elle était enseignante à Micoua (village à quelques milles de Manic 3 servant de communauté pour les cadres et professionnels du chantier). Le sentiment était tellement fort que nous nous sommes mariés le 30 juin 1973, six mois après notre rencontre et nous vivons ensemble avec bonheur depuis plus de 37 ans.
La vingtaine a permis la réalisation de plusieurs rêves et projets. C’est à cette époque que j’ai passé de l’instabilité à une stabilité qui s’est consolidée tout au long des années qui suivirent. Voici les principales réalisations:
Dix jours après le mariage, j’ai débuté un travail à La Malbaie. Colette et Réjean et leurs enfants (Pierre et Danièle) y vivaient depuis quelques années. Depuis plus de 37 ans, nous avons, dans la bonne entente, fraternisé, partagé les expériences vécues de part et d’autre et vécu des moments inoubliables. C’est ainsi que Charlevoix est devenue notre terre d’asile et d’une certaine façon un retour sur la terre de nos ancêtres et de ceux de Ginette.
Le 6 décembre 1973, peu de temps après mon mariage, Huguette décède après une longue maladie. Je reste marqué par ce deuil d’une personne chère. Elle laissait un conjoint et quatre enfants en bas âge. J’ai ressenti une très grande tristesse en plus d’un sentiment d’impuissance et d’inutilité à pouvoir soulager et aider d’une façon substantielle.
Le 11 octobre 1974, j’assiste à la naissance de Martin, né à 17 h au Centre hospitalier de La Malbaie. La première grossesse de Ginette a été une période d’émerveillement et elle fut entourée de beaucoup de précautions et de préparations. Ce premier enfant était attendu avec une très grande impatience et avec beaucoup d’amour.
En 1975, nous achetons la maison où nous étions à loyer depuis un an et où nous vivons toujours après y avoir apporté au cours du temps plusieurs transformations.
Le 12 mars 1977, Sébastien, notre deuxième enfant voit le jour à 6 h le matin, au Centre hospitalier de l’Enfant-Jésus, à Québec. Ce fût une césarienne et je n’ai pu y assister. Je me rappelle encore mon attente dans une salle adjacente et le sourire du médecin qui, après l’accouchement, arrêté sur le pas de la porte de sortie, s’apprêtait à fumer un cigarillo. Il était visiblement satisfait d’avoir accouché un si bel enfant.
Je poursuis et termine, en cours d’emploi, un baccalauréat en service social. Cette période a été une période de travail dur et, sans l’appui, l’encouragement et la patience de Ginette qui était le plus souvent seule pour veiller sur nos deux enfants, je ne crois pas que j’aurais pu le faire.
C’est la période qui, comme un relent du passé, nous motive à avoir un jardin plein de fleurs et de légumes, des poules dans notre poulailler, un chien, des chats et un bouc qui mange l’herbe et amuse les enfants.
L’année 1979 est une année très difficile. En effet, ma mère meurt le 27 mai, pendant que je suis à l’hôpital pour subir l’ablation de la parotide gauche qui est cancéreuse. Je ne peux assister aux funérailles et supporter Ginette, les enfants et mes frères et sœurs dans cette tragique période. Heureusement, je me remets, sans aucun autre traitement, de cette opération. J’ai toujours pensé que maman avait intercédé pour moi dans les hautes sphères et qu’elle était responsable de ma guérison.
Le 19 janvier 1983, comme un cadeau du ciel, j’assiste à 8 h du matin, à la naissance par césarienne de Catherine au Centre hospitalier Saint-Sacrement de Québec: notre seule fille, notre bébé. La famille était maintenant complète et comme dans toutes les familles lorsque les enfants sont en bas âge, une période de travail à plein temps se vit, avec ses joies, ses peines, ses épreuves, son enrichissement et la force d’être unis et solidaires pour affronter la vie. Et tout cela, avec le plus grand bonheur de contribuer à perpétuer la suite du monde.
Je n’ai pas parlé encore de Lucette (Lucie) qui a été présente d’une façon appréciable dans ma vie, même si elle a quitté le domicile familial jeune pour travailler. J’ai gardé des contacts assez fréquents avec elle, Yves son conjoint, et j’ai bien connu ses enfants Denis et Johanne, que maman gardait à l’occasion pour lui rendre service. Elle me recevait chez elle à Baie-Comeau et j’ai toujours apprécié son accueil chaleureux, son acceptation et ses encouragements. En 1990, j’ai été marqué par son décès suite à une longue maladie. Dans cette période tragique, j’ai pu à nouveau constater sa force immense à affronter l’adversité et son très grand souci des autres allant jusqu’à s’oublier elle-même. Je garderai toujours le souvenir d’une personne qui, malgré toutes ses épreuves, a continué jusqu’au bout à aimer la vie et à l’embellir.
Depuis mon mariage, j’ai passé trente-trois ans de ma vie au travail dans quatre organisations de santé et de services sociaux (le service familial de Québec, le Centre de services sociaux de Québec, le Centre local de services communautaires (CLSC) et le Centre de santé et de services sociaux de Charlevoix), j’y ai œuvré pendant 15 ans comme intervenant en service social (travailleur social) dans les secteurs adultes, santé mentale, personnes âgées, famille–enfance-jeunesse, et en travail social scolaire (polyvalente) et pendant 18 ans comme gestionnaire en coordination clinique et comme chef d’administration de nombreux programmes et les trois dernières années, j’ai exercé le poste de directeur des services clientèles CLSC. J’ai quitté le 20 août 2006 avec le sentiment du travail accompli, heureux d’avoir eu la chance d’exploiter et de développer mes talents dans un travail que j’aimais, entouré de personnes riches tant aux plans personnel que professionnel.
N’oublions pas les loisirs et le plein air, qui ont toujours tenu une très grande place dans ma vie. J’ai eu la chance de partager ces passions, d’abord avec Ginette et mes enfants, mais aussi avec mes frères et beaux-frères. Comme exemples, je pense à Marcel et Gonzague qui m’ont initié à la pêche, à Réjean avec qui je ne compte plus le nombre d’excursions de pêche que j’ai faites et les si belles excursions de vélo; je pense à Jean-Marie et à Bertrand avec qui j’ai participé à récolter un premier orignal dans des circonstances incroyables; à Jean-Guy et aux voyages de pêche irréels dans le nord, à la chasse au chevreuil qu’il m’a fait découvrir et plus récemment aux activités réalisées à son chalet de Baie-Comeau et je pense aux activités de plein air (monter les montagnes, la traversée de Charlevoix, les excursions de ski de fond, etc.) réalisées avec Yvon, avec qui j’ai tant de plaisir à me retrouver. Les loisirs, l’exercice physique et le plein air ont toujours été un moyen essentiel à ma bonne santé mentale et physique.
Le chalet du Cap Colombier est très significatif pour moi, c’est un havre de paix et de ressourcement où, avec Ginette et les enfants, nous nous retrouvons régulièrement. Il serait impossible de calculer le nombre de mollusques que nous y avons ramassés (et de bière?) et toutes les personnes que nous y avons rencontrées au cours des années. Pensons seulement aux rencontres de printemps des Fillion (frères, sœurs, enfants, neveux, nièces, amis,) que nous avons vécues. C’est un cadeau légué par les parents de Ginette, de qui je garde les meilleurs souvenirs de générosité, d’acceptation et d’amour à mon égard, cela perpétue leur souvenir. J’ai toujours considéré cet endroit tout près d’où je suis né comme magique, comme un sanctuaire où on ne peut que louer la grandeur de Dieu et de sa Création.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner l’un des moments charnières de ma vie que fut en 2001, la traversée de l’Espagne, pour réaliser seul le Chemin de Compostelle. J’avais 52 ans, les enfants étaient tous des adultes et dans le travail, je vivais une certaine usure et une monotonie. Dans mon couple, nous avions à nous réadapter à un nouveau mode de vie et réapprendre à vivre un peu plus en fonction de nos besoins personnels. Ce fut pour moi le moyen de relever un défi personnel, de reprendre contact avec les valeurs importantes de la vie, de faire le bilan, de me ressourcer et de me réénergiser pour continuer à me réaliser dans la vie de tous les jours. L’énergie que j’ai acquise et les souvenirs de cette quête ont sûrement eu et ont encore, une très grande influence sur la façon d’aborder ma vie et de respecter la vie des autres.
Depuis ma retraite en août 2006, il n’y a pas vraiment eu de cassure. La vie continue et me permet de réaliser des projets et d’être davantage disponible aux autres et conscient des beautés de la vie. Parmi les projets réalisés, il y a eu l’acquisition d’un Westfalia (Eurovan) qui me permet, avec Ginette ma complice et mon amour, de faire des voyages avec un sentiment de plus grande liberté. Il y a la possibilité de faire plus de loisirs et de sports, de la rénovation, de la lecture, des rencontres familiales, de la méditation, du bénévolat et de rester disponible aux surprises de la vie. Je demeure conscient toutefois que la vie va continuer à véhiculer sa part de déception et de tristesse. Les décès rapprochés de Marcel et de Bertrand m’ont fait réaliser que tous mes frères et sœurs ainsi que moi-même prenions de l’âge et que nous sommes plus vulnérables à la maladie et à la mort.
À la lumière de ce bref bilan, je constate tout ce que la vie m’a apporté et la chance que j’ai eue d’être né et d’avoir vécu dans ce pays et dans cette famille. J’apprécie également d’avoir une épouse qui m’accompagne depuis si longtemps et avec qui j’ai eu des enfants en santé, pleins de talents, qui ont maintenant un bon métier avec des conjoint(es) aimant(es) et plein(es) de ressources.
J’ai déjà parlé des avantages d’être le plus jeune d’une famille de 15 enfants. Eugène et Antoinette ont placé les fondements de notre famille et mes frères et sœurs ont ouvert et tracé le chemin. De les voir vivre des expériences, parfois heureuses et parfois malheureuses, m’a permis un meilleur discernement face à ma propre vie. D’avoir vécu dans une famille nombreuse, dans la pauvreté et la simplicité, sans jamais avoir eu le sentiment d’en souffrir, cela a solidifié chez moi des valeurs de compassion, d’entraide, de partage, de solidarité, de bienveillance, de croyance profonde au pouvoir de l’humain et de la Vie.
Ces valeurs m’ont guidé et m’accompagnent avec force encore aujourd’hui et j’espère qu’elles seront préservées par les générations qui vont nous suivre. Maintenant, elles continuent à m’inspirer en m’ouvrant la route de la vieillesse et j’espère qu’elles me permettront de jouer d’une façon éclairée mon récent rôle de grand-père…
Michel
